Une fenêtre sur l’intimité déchirante des Afghanes. C’est ce qu’offre l’exposition “No Woman’s Land”, visible jusqu’au 18 novembre au Réfectoire des Cordeliers à Paris. À travers une série de clichés poignants, la photographe irano-canadienne Kiana Hayeri et la chercheuse française Mélissa Cornet nous plongent dans le quotidien des femmes afghanes, confinées chez elles et privées de leurs droits fondamentaux depuis que les talibans ont repris le pouvoir en août 2021.
Un “apartheid de genre” en Afghanistan
Depuis leur arrivée au pouvoir, les talibans ont instauré ce que l’ONU qualifie d'”apartheid de genre” en Afghanistan. Les femmes ont été progressivement chassées de l’espace public : elles n’ont plus le droit d’étudier au-delà du primaire, de fréquenter les parcs, les salles de sport ou les salons de beauté, ni même de sortir de chez elles sans être accompagnées d’un homme de leur famille.
Une récente loi leur interdit même de faire entendre leur voix en public. Toutes ces directives découlent d’une application ultrarigoriste de la loi islamique par les talibans. “Dans la situation actuelle, il n’y a guère de lumière au bout du tunnel”, se désole Kiana Hayeri.
100 femmes et filles rencontrées dans 7 provinces
Pour réaliser ce projet, Kiana Hayeri et Mélissa Cornet ont rencontré une centaine de femmes et de filles, de janvier à juin, dans sept provinces d’Afghanistan. Lors de ces rencontres, qui se déroulaient toujours chez elles ou chez les deux femmes, le constat était sans appel : interrogées sur leur espoir de voir la situation s’améliorer sous les talibans, la réponse était presque systématiquement “non”.
Des clichés rares et précieux
Les photographies exposées offrent un regard unique et précieux sur l’intimité des Afghanes. Sur un des clichés, une adolescente de 14 ans, Muska, pose en hijab rose devant une fenêtre. Elle sera bientôt mariée de force “en échange d’un puits et de panneaux solaires”.
D’autres scènes montrent des femmes ou des adolescentes qui dansent, sourient, célèbrent un anniversaire en intérieur. Un acte de résistance silencieuse au nom de “leur droit à la joie, à la liberté et à la célébration de leur féminité”. Certaines étudient dans des écoles secrètes pour ne pas perdre leur savoir.
Parce que sa famille lutte tellement financièrement, ils ont accepté une proposition de mariage d’un fils de leur propriétaire. Elle a été vendue contre un puits et des panneaux solaires, soit l’équivalent de 300 ou 400 dollars.
– Mélissa Cornet, à propos de Muska, 14 ans
La tragédie silencieuse du quotidien afghan
Mais la plupart des photographies illustrent simplement la tragédie du quotidien des Afghanes. Comme ces mains en coupole portant l’alliance d’Halima, veuve d’un mari mort de crise cardiaque le jour de sa libération de prison où elle était détenue pour activisme.
Des clichés poignants, qui laissent toutefois Kiana Hayeri “le coeur brisé et impuissante”, car elle sait qu’ils ne changeront rien à la situation désespérée des femmes afghanes.
L’Afghanistan abandonnée malgré 20 ans d’intervention internationale
Pendant 20 ans, une coalition menée par l’OTAN a pourtant justifié sa présence en Afghanistan notamment par la défense des droits des femmes face à l’insurrection des talibans… avant d’abandonner l’armée afghane qui les combattait, permettant leur retour au pouvoir. Quelles que soient les conséquences pour les Afghanes.
Tout le monde connaît la condition des Afghanes. Mais il n’y a aucune volonté politique pour les aider davantage en Afghanistan, ou les aider à en sortir et les accepter en Europe ou aux États-Unis.
– Mélissa Cornet, chercheuse spécialiste du droit des femmes
Un abandon que dénonce vivement Mélissa Cornet : “On ne parle pas des responsabilités que nous avons envers elles.” Un silence assourdissant qui résonne à travers les photos déchirantes exposées à Paris. Un témoignage rare et précieux sur une tragédie qui se déroule à huis clos, loin des regards du monde.