C’est un procès qui promet de faire date. Gérard Depardieu, 75 ans, monstre sacré du cinéma français, est attendu ce lundi 28 octobre devant le tribunal correctionnel de Paris. Il doit répondre d’accusations d’agressions sexuelles, des faits qui auraient été commis en 2021 sur le tournage du film “Les Volets verts” de Jean Becker. L’affaire, révélée en février 2024, a mis un coup d’arrêt brutal à l’immense carrière de l’acteur, icône du 7e art hexagonal depuis plus de 50 ans. Elle intervient dans un contexte post-#MeToo où le cinéma français semble enfin décidé à faire le ménage dans ses rangs et à briser l’omerta sur les violences sexuelles.
Gérard Depardieu, de la gloire au scandale
Difficile d’imaginer destin plus fulgurant que celui de Gérard Depardieu. Né dans une famille modeste de Châteauroux, rien ne le prédestinait à devenir l’acteur préféré des Français. C’est pourtant le statut qu’il a acquis en un demi-siècle de carrière, à force de rôles marquants chez les plus grands réalisateurs. De Truffaut à Blier en passant par Pialat ou Duras, il s’est imposé comme un interprète caméléon, capable d’incarner des personnages aussi différents que Cyrano, Obélix, Staline ou DSK. Une filmographie pléthorique (plus de 250 films) récompensée par 2 Césars et un Prix d’interprétation à Cannes.
Mais depuis quelques années, l’image de Gérard Depardieu s’est considérablement dégradée. Exil fiscal en Russie, amitié affichée avec Vladimir Poutine, polémiques en série… Les frasques de l’acteur ont fini par lasser. Et les révélations de février 2024 sur des accusations d’agressions sexuelles ont fait l’effet d’une bombe. Deux femmes affirment avoir subi des gestes et des propos déplacés de la part de l’acteur sur le tournage du film “Les Volets verts” à l’été 2021. Des faits qu’il a toujours niés en bloc, évoquant un “tribunal médiatique” et un “lynchage” orchestré contre lui.
Les accusations au cœur du procès
Mais que lui reproche-t-on exactement ? Selon une source proche du dossier, les deux plaignantes, qui occupaient des postes techniques sur le tournage, dénoncent des attouchements et des propos obscènes. L’une d’elles raconte que l’acteur l’aurait “attrapée avec brutalité” alors qu’elle quittait le plateau. Il l’aurait “bloquée en refermant ses jambes comme un crabe”, avant de la tripoter et de lui susurrer des insanités à l’oreille type :
Viens toucher mon gros parasol, je vais te le fourrer dans la chatte.
Des propos crus qui auraient choqué toute l’équipe présente ce jour-là. Les gardes du corps de l’acteur auraient dû intervenir pour stopper la scène. La seconde plaignante relate des faits similaires, avec des gestes et des mots déplacés de manière répétée pendant le tournage.
Que risque Gérard Depardieu ?
S’il est reconnu coupable des faits d’agressions sexuelles qui lui sont reprochés, Gérard Depardieu encourt jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende. Mais une condamnation, même avec sursis, aurait surtout valeur de symbole à l’heure où le cinéma français semble enfin décidé à régler ses comptes avec les prédateurs sexuels.
Ironie du sort, le procès de Gérard Depardieu intervient quelques jours seulement après un autre procès très médiatisé, celui de Nicolas Bedos. Le réalisateur de 43 ans était jugé lui aussi pour agressions sexuelles et a écopé d’une peine de 6 mois ferme sous bracelet électronique. Un jugement d’une sévérité inédite dans ce type d’affaires, qui confirme que les temps ont changé…
Vers un “Me Too” du cinéma français ?
Le procès de Gérard Depardieu sera donc scruté de près. D’autant que l’acteur n’en a sans doute pas fini avec la justice. Il est aussi visé par plusieurs autres plaintes :
- Celle de la comédienne Charlotte Arnould qui l’accuse de viol en 2018. Il a été mis en examen dans ce dossier en 2020 et attend une probable ordonnance de renvoi devant une cour d’assises.
- Celle d’une comédienne espagnole qui affirme avoir été violée lors d’une interview en 1995. Les faits remontent à trop longtemps pour être jugés en France mais une procédure est en cours à Madrid.
- Celles de plusieurs techniciennes (maquilleuse, habilleuse…) qui relatent des gestes et des propos déplacés sur d’autres tournages dans les années 2000-2010. Des plaintes classées sans suite pour cause de prescription.
Au-delà du cas Depardieu, c’est tout le cinéma français qui semble entrer dans une phase d’introspection inédite suite au mouvement #MeToo. Des langues se délient, des victimes osent parler et la justice semble décidée à sévir. Le monde du 7e art, longtemps perçu comme une zone de non-droit propice aux abus, est-il en train de vivre sa grande purge ? L’avenir le dira mais une chose est sûre : le procès de Gérard Depardieu fera date et aura valeur de test.
L'”effet Depardieu” redouté
Au-delà des conséquences judiciaires, l’affaire Depardieu risque aussi d’avoir un impact dévastateur sur l’image du cinéma français. Avec Belmondo disparu en 2021, Depardieu était l’un des derniers monstres sacrés du 7e art, l’incarnation d’un certain cinéma populaire à la française. Sa chute pourrait symboliser la fin d’une époque, d’un système aussi, qui a trop longtemps fermé les yeux sur les abus de ses stars.
Certains redoutent même un “effet Depardieu” sur la fréquentation des salles. Les derniers films de l’acteur, comme “Maigret” ou “Robuste” en 2022, ont connu un succès modeste malgré des critiques correctes. Et “Les Volets verts”, directement touché par le scandale, n’a attiré que 320 000 spectateurs en salles. Le public sanctionnerait-il à sa manière les acteurs sulfureux ?
Une chose est sûre, la présomption d’innocence semble bien malmenée dans toute cette affaire. Si Gérard Depardieu clame son innocence et dénonce un “tribunal médiatique”, il fait déjà figure de pestiféré dans le milieu du cinéma. Plus aucun réalisateur ne semble prêt à le faire tourner, de peur d’être éclaboussé par le scandale. À 75 ans, le comédien aux 250 films risque de voir sa carrière se terminer sur ce triste épilogue judiciaire…
Un procès pour l’exemple ?
Au fond, le procès de Gérard Depardieu soulève une question essentielle : quelle doit être la réponse de la société face aux violences sexuelles dans des milieux longtemps perçus comme “intouchables” (cinéma, politique, sport…) ? La tolérance zéro face aux “monstres sacrés” est-elle la seule voie possible à l’heure de #MeToo ? Ou faut-il préserver une forme de présomption d’innocence et éviter les procès expéditifs ?
C’est tout l’enjeu de cette affaire hors norme, qui en dit long sur l’évolution des mentalités et le changement de paradigme à l’œuvre. Pour le meilleur ou pour le pire, la mise en accusation de Gérard Depardieu fera jurisprudence et obligera le monde du cinéma à se regarder dans le miroir. Un procès pour l’exemple en somme. Dont le verdict sera forcément symbolicisé…