La sortie d’un livre intitulé “L’idée de la Casamance autonome” de l’historienne française Séverine Awenengo Dalberto fait couler beaucoup d’encre au Sénégal. Cet ouvrage, qui devait être présenté ce samedi à Dakar, a vu sa séance de dédicace annulée face aux vives protestations qu’il suscite dans le pays. Certains l’accusent de remettre en cause la paix en Casamance et l’unité nationale.
La Casamance, une région sensible
Située au sud du Sénégal et séparée du reste du pays par la Gambie, la Casamance est le théâtre d’un des plus anciens conflits du continent africain. Depuis décembre 1982, des indépendantistes ont pris le maquis pour réclamer l’autonomie de cette région. Si l’intensité des combats a fortement baissé, le conflit perdure encore à bas bruit, faisant de l’évocation de la situation en Casamance un sujet très sensible au Sénégal.
Des accusations de séparatisme
C’est dans ce contexte tendu que l’annonce de la publication du livre de Séverine Awenengo Dalberto a provoqué un tollé. L’Alliance pour la République, parti au pouvoir jusqu’en mars dernier, a fustigé dans un communiqué un ouvrage qui “remet en question les acquis” sur la paix dans la région et s’avère “dangereux” pour la cohésion du pays. Sur les réseaux sociaux, les débats font rage, beaucoup accusant l’autrice de promouvoir des visées séparatistes.
L’historienne se défend
Face à cette polémique, la chercheuse du CNRS a tenu à se défendre. Dans un communiqué, elle déplore “des commentaires malveillants et infondés” qui circulent sur “le soi-disant contenu” de son livre et ses intentions, relayés dans les médias et sur internet. Séverine Awenengo Dalberto assure que son travail est “strictement historique” et ne vise “aucunement à rouvrir les fractures”. Selon elle, ces accusations “alimentent un climat potentiellement dangereux” pour sa sécurité.
Une “instrumentalisation politique” ?
De leur côté, les éditions Karthala, qui publient l’ouvrage, regrettent “une instrumentalisation politique d’un ouvrage scientifique par des personnes qui n’ont, manifestement, pas pris connaissance de son contenu”. Elles ont pris la décision d’annuler la présentation du livre prévue dans une librairie dakaroise “face au risque de voir son déroulement perturbé”.
Un précédent en 2010
Ce n’est pas la première fois qu’un ouvrage traitant de la Casamance provoque des remous au Sénégal. En 2010 déjà, le livre “Le conflit de Casamance – Ce que disent les armes” d’un autre chercheur français, Jean-Claude Marut, avait été interdit dans le pays.
Vers une résolution du conflit ?
Après plus de 40 ans, le conflit en Casamance est toujours dans une impasse. Malgré une baisse significative des violences, l’Etat sénégalais refuse catégoriquement toute idée d’autonomie pour la région. Les indépendantistes, bien qu’affaiblis, n’ont pas déposé les armes pour autant. Une médiation de la communauté de Sant’Egidio est en cours pour tenter de trouver une issue pacifique. Mais le chemin vers la paix s’annonce encore long et semé d’embûches, comme l’illustre la polémique autour du livre de Séverine Awenengo Dalberto.
Mon travail est strictement historique. [Il] ne vise aucunement à rouvrir les fractures comme certains pourraient le craindre.
– Séverine Awenengo Dalberto, autrice de “L’idée de la Casamance autonome”
La sortie de cet ouvrage montre à quel point la question de la Casamance reste un sujet brûlant au Sénégal. Loin de se cantonner aux sphères académiques, le débat prend une tournure politique et passionne l’opinion. Le livre aura en tout cas réussi, bien involontairement, à remettre le conflit au cœur des discussions, alors que se profile le 40e anniversaire du déclenchement de la crise.