En ce samedi d’élections législatives, les Géorgiens se rendent aux urnes le cœur lourd et l’esprit tourmenté. Car au-delà du choix de leurs représentants, c’est un véritable choix de destin qui s’offre à eux. Tournés vers l’Occident ou ancrés à l’Est ? Liés à l’Europe ou à la Russie ? La question agite et divise profondément ce petit pays du Caucase, carrefour stratégique entre deux mondes.
Une position géopolitique complexe
Ancienne république soviétique ayant acquis son indépendance en 1991, la Géorgie porte en elle les cicatrices d’une histoire mouvementée et les tiraillements d’une identité plurielle. Envahie par la Russie en 2008, qui maintient depuis des troupes dans les régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, elle aspire officiellement à rejoindre l’Union européenne et l’OTAN. Mais son gouvernement est accusé de dérive autoritaire et de rapprochement avec Moscou.
Face à ce pouvoir controversé, une opposition résolument pro-occidentale appelle à un ancrage européen sans ambiguïté. Mais sur le terrain, les électeurs apparaissent profondément divisés. Pour certains, à l’instar de Suzanne Kassian, musicologue, il s’agit avant tout de garder un savant équilibre :
On ne choisit pas nos voisins et donc il faut être lucide vu la position géopolitique, c’est très important. La Géorgie doit trouver une voie harmonieuse entre les traditions et le développement.
L’amitié avec tous comme boussole ?
D’autres, comme Giga Abouladzé qui a voté pour le parti au pouvoir Rêve géorgien, prônent une bonne entente générale :
Il faut être ami avec la Russie, ami avec l’Europe, ami avec l’Amérique, ami avec l’Indonésie, avec la Chine… Ami avec tout le monde.
Giga Abouladzé, électeur
Mais cette vision irénique est loin de faire consensus. Car sous ses airs policés, la campagne a été émaillée de passes d’armes et de mesures controversées, certains y voyant la marque d’un inquiétant tropisme russe.
Le spectre d’une “Ukrainisation” ?
D’après des sources proches du parti au pouvoir, ses dirigeants se sont ainsi présentés comme les seuls remparts contre une supposée “Ukrainisation” de la Géorgie. En mai, ils ont également fait adopter une loi sur “les agents de l’étranger” vue comme une réplique du modèle russe de muselage des voix critiques. Un texte qui a suscité l’ire des pro-européens et de larges manifestations.
Sergueï, étudiant de 19 ans, s’est ainsi rendu aux urnes avec la ferme intention de voter contre le pouvoir en place. Pour lui, cette loi est digne d’une dictature et ouvre la voie à un contrôle excessif de la société civile.
Tensions autour des droits LGBT+
Autre sujet de crispation, les droits des personnes LGBT+, restreints par une récente loi dans ce pays de tradition orthodoxe où l’hostilité envers les minorités sexuelles reste forte. Pour Sergueï, le parti au pouvoir instrumentalise la question à des fins électoralistes :
Beaucoup de Géorgiens dans les régions rurales sont anti-LGBTQ. Ils instrumentalisent ce public pour l’élection, c’est un vote facile, parce que, visiblement, la haine rapproche les gens.
Une issue incertaine
Alors que les bureaux de vote ont fermé leurs portes, l’issue du scrutin apparaît encore incertaine. Le gouvernement a affiché son ambition d’obtenir la majorité des trois-quarts au Parlement, ce qui lui permettrait de modifier la Constitution et d’interdire les partis d’opposition pro-occidentaux.
Une perspective qui inquiète fortement Tamta Koukhaleichvili, une psychologue de 38 ans qui soutient l’opposition et craint de voir son avenir professionnel compromis par la nouvelle législation sur les “agents étrangers”. Si le camp pro-russe l’emporte, elle envisage même de quitter le pays, refusant de vivre dans une Géorgie qu’elle juge de plus en plus anti-démocratique et inféodée à Moscou.
À l’heure où le dépouillement débute, c’est donc une nation suspendue à son destin géopolitique qui retient son souffle. Quelle voie les Géorgiens choisiront-ils ? Celle d’un rapprochement avec la Russie ou d’un ancrage européen ? La réponse ne saurait tarder, mais une chose est sûre : elle ne manquera pas de marquer en profondeur l’avenir de ce pays à la croisée des mondes.