C’est une première en France : un policier sera prochainement jugé par une cour criminelle pour avoir grièvement blessé un manifestant lors d’un rassemblement des gilets jaunes en 2019. L’affaire soulève des interrogations sur l’usage de la force par les forces de l’ordre dans le cadre du maintien de l’ordre, et pourrait faire jurisprudence.
Un tir de grenade “qui n’avait pas sa place”
Les faits remontent au 16 novembre 2019, en pleine période de contestation sociale des gilets jaunes. Lors d’une manifestation autorisée mais qui avait dégénéré à Paris, Manuel Coisne, 41 ans, se trouvait à l’écart des heurts entre manifestants et police quand il a été touché au visage par une grenade lacrymogène.
Selon l’ordonnance de mise en accusation, le policier auteur du tir, Fabrice T., aurait “volontairement effectué un tir ne respectant pas le règlement en vigueur, car tiré de façon évidente trop bas, en dessous des 30° minimum requis”, soit un tir tendu. La grenade a alors “percuté violemment l’oeil gauche de Manuel Coisne, sans qu’il puisse l’éviter et l’anticiper, entraînant la perte irrémédiable de son oeil“, selon la magistrate.
Cette dernière estime qu’un “tir tendu n’avait pas sa place”, car la victime “n’exerçait aucune voie de fait envers les forces de police et était en retrait des manifestants violents”. Le policier de 49 ans a pourtant contesté les faits reprochés au cours de la procédure.
Un soulagement pour la victime
Pour Manuel Coisne et son avocat Arié Alimi, la décision de renvoyer le fonctionnaire de police devant une cour criminelle est “un soulagement”. Me Alimi y voit un signal fort :
La poursuite criminelle de ce policier qui a éborgné Manu Coisne avec une grenade est un soulagement.
Arié Alimi, avocat de Manuel Coisne
Si le policier encourt jusqu’à 15 ans de réclusion criminelle, ce procès sera surtout une première pour juger des violences commises en marge du mouvement des gilets jaunes. Un autre procès a été demandé récemment contre un policier soupçonné d’avoir éborgné Jérôme Rodrigues, l’une des figures du mouvement.
Maintien de l’ordre : des méthodes en question
Au-delà du cas dramatique de Manuel Coisne, l’affaire met en lumière les méthodes de maintien de l’ordre des forces de police, et notamment le recours controversé aux tirs tendus de grenades lacrymogènes pour disperser les manifestants.
De nombreux manifestants, journalistes ou simples passants ont été blessés, parfois grièvement, par ces tirs depuis le début du mouvement des gilets jaunes fin 2018. Selon un décompte du journaliste indépendant David Dufresne, au moins 25 personnes ont été éborgnées par des tirs de LBD ou grenades depuis novembre 2018.
Il y a une logique de la violence. Une logique de réprimer plutôt que de maintenir l’ordre.
Sociologue spécialisé dans la police, sous couvert d’anonymat
Face à ces incidents à répétition, les autorités ont défendu la nécessité pour les forces de l’ordre de riposter face à des “manifestants ultra-violents”. Mais des voix s’élèvent pour dénoncer une “doctrine de maintien de l’ordre” privilégiant l’affrontement au dialogue, avec un usage disproportionné de la force.
Le procès du policier qui a blessé Manuel Coisne sera donc suivi avec attention. Au-delà de l’établissement des responsabilités individuelles, il posera la question plus large des limites de l’usage de la force dans un État de droit, et du nécessaire équilibre entre le maintien de l’ordre public et la protection des libertés fondamentales, au premier rang desquelles figure le droit de manifester pacifiquement ses opinions.