Un éminent journaliste cambodgien, connu pour ses enquêtes percutantes sur la traite des êtres humains et les escroqueries en ligne, vient de retrouver un semblant de liberté. Après plus de trois semaines passées derrière les barreaux, Mech Dara a été libéré sous contrôle judiciaire ce jeudi. Les autorités l’accusent “d’incitation au désordre” en raison de ses publications sur les réseaux sociaux.
Ce reporter aguerri, maintes fois récompensé pour son travail d’investigation sur les tristement célèbres “fermes à escroquerie” qui sévissent dans la région, peut enfin souffler. Ces organisations criminelles, spécialisées dans l’extorsion de sommes faramineuses via internet, alimentent un vaste réseau de traite d’êtres humains à l’échelle du Sud-Est asiatique. En mettant en lumière leurs agissements, Mech Dara s’est attiré les foudres du régime en place.
Un journaliste engagé mais affaibli
À sa sortie de prison, le reporter a tenu à remercier chaleureusement ceux qui ont œuvré à sa libération. Visiblement éprouvé par cette épreuve, il a confié son intention de mettre sa carrière entre parenthèses le temps de se défendre face aux graves accusations qui pèsent sur lui.
“Ma santé est fragile, mon cerveau ne fonctionne pas encore bien. J’espère pouvoir continuer ma carrière pour servir le public”, a déclaré Mech Dara, la voix teintée d’émotion et de détermination.
Arrêté le 30 septembre dernier à Sihanoukville, une ville côtière tristement réputée pour abriter de nombreuses arnaques en ligne, le journaliste risque jusqu’à deux ans de prison pour avoir “attisé la colère” et induit “le public en erreur” via ses publications sur les réseaux sociaux, selon la justice cambodgienne.
Une contrition forcée ?
Quelques heures avant sa remise en liberté, une vidéo troublante de Mech Dara a été diffusée. On y voit le reporter, vêtu d’un uniforme de prisonnier orange, agenouillé, mains jointes en signe de supplication. Il présente ses excuses à l’ancien dirigeant Hun Sen et à son fils, l’actuel Premier ministre Hun Manet, reconnaissant que ses publications contenaient “de fausses informations nuisibles pour les dirigeants et le pays”.
Cette séquence, qui soulève de nombreuses questions sur les conditions de détention du journaliste et les pressions qu’il a pu subir, a été rendue publique peu après une rencontre entre Hun Manet et Samantha Power, administratrice de l’USAID, l’agence américaine pour le développement international.
Un combat de longue haleine
Le parcours de Mech Dara témoigne de son engagement indéfectible dans la lutte contre la traite des êtres humains. L’an dernier, son travail remarquable avait été salué par le secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui lui avait décerné le prestigieux “Hero Award”.
Collaborateur de longue date du média indépendant Voice of Democracy, fermé par les autorités en février 2023, Mech Dara a toujours fait preuve d’un courage et d’une détermination sans faille pour dénoncer les dérives du régime et les maux qui gangrènent la société cambodgienne.
Classé parmi les derniers au monde en termes de liberté de la presse, le Cambodge muselle toute forme de dissidence depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel régime en 1979. Le cas de Mech Dara illustre une fois de plus les dangers auxquels s’exposent les journalistes qui osent défier le pouvoir en place.
Alors que le reporter entame un nouveau combat pour prouver son innocence et defender sa liberté d’informer, la communauté internationale retient son souffle. L’affaire Mech Dara est devenue le symbole d’une lutte acharnée pour la vérité et la justice dans un pays où les voix discordantes sont systématiquement réduites au silence.
