Sur TikTok, une vidéo d’à peine une minute a suffi à semer le doute dans l’esprit de millions d’automobilistes. La séquence, visionnée près de 7 millions de fois en seulement 48 heures, montre une femme en train de verser du carburant dans un récipient gradué. Selon elle, le volume affiché à la pompe est supérieur de 10 à 15% à celui mesuré. De quoi crier au scandale et à l’arnaque généralisée dans les stations-service. Mais cette vidéo révèle-t-elle vraiment une fraude à grande échelle ? Pas si sûr. Décryptage d’une polémique qui enflamme la toile.
Un test à la méthodologie douteuse
Si la vidéo cumule déjà des millions de vues, les conclusions hâtives de ses auteurs peinent à convaincre les experts. Comme le souligne Émeric Morel, membre du Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE), la séquence souffre d’un cruel manque de rigueur :
La première chose qui vient à l’esprit, c’est que nous ne disposons d’aucune garantie sur l’objet utilisé pour vérifier la quantité de carburant, il ne s’agit pas d’un instrument de mesure certifié.
Émeric Morel, LNE
Par ailleurs, d’après le spécialiste, on remarque qu’une partie non négligeable du liquide est renversée lors de la manipulation. Un détail sur lequel de nombreux internautes ont également tiqué dans les commentaires. Enfin, rappelle-t-il, la “quantité minimum de livraison” pour garantir la fiabilité des mesures est de 5 litres. En dessous de ce seuil, “on ne peut rien dire de l’exactitude de la pompe”.
Des contrôles draconiens à toutes les étapes
Au-delà de ces problèmes méthodologiques qui sapent la crédibilité du test, il faut rappeler que les pompes à essence font l’objet de contrôles particulièrement stricts en France. Avant même leur mise en service, leur conception est certifiée pour s’assurer qu’elles répondent aux exigences réglementaires, avec un niveau de précision suffisant. Le LNE est également chargé de valider les procédures qualité des fabricants, installateurs et réparateurs.
Une fois sur le terrain, chaque pompe est inspectée au moins une fois par an par des organismes indépendants agréés. Daniel Poni, représentant de la société Madic qui réalise ce type de contrôles, précise que ses équipes utilisent “des jauges étalons sûrement beaucoup plus précises que le matériel utilisé sur la vidéo”. Au total, ce sont environ 200 000 vérifications périodiques qui sont effectuées chaque année en France.
Moins de 0,02% d’irrégularités constatées
Et les résultats de ces minutieuses inspections sont sans appel. D’après les données de la Direction générale des entreprises (DGE), en 2023, sur près de 14 600 instruments vérifiés, seuls 4 délivraient un volume non conforme, soit moins de 0,02% des pompes contrôlées. Un taux infinitésimal, qui tranche radicalement avec les accusations de triche à grande échelle.
De son côté, la société Madic évalue à moins de 1% la part d’appareils non conformes lors de ses propres vérifications. Et Daniel Poni de préciser :
Lorsque l’instrument est non conforme à la vérification périodique, nous apposons une vignette rouge et informons les autorités compétentes.
Daniel Poni, Madic
Un système bien rodé, qui permet en théorie de repérer rapidement les éventuelles anomalies et tentatives de fraude.
Pas de cas avérés de pompes truquées
Un élément qui vient confirmer l’analyse de la DGE. Interrogée à ce sujet, cette dernière affirme que ces dernières années, aucun cas de station-service sciemment “truquée” n’a été porté à sa connaissance. Une information rassurante pour les millions d’automobilistes qui fréquentent quotidiennement les quelque 11 000 stations du pays.
Bien sûr, il est toujours possible qu’une pompe se dérègle ponctuellement, comme n’importe quel appareil. C’est précisément pour détecter ces dysfonctionnements que les contrôles sont mis en place. En cas de doute, les consommateurs sont d’ailleurs invités à se rapprocher du service métrologie de leur région, qui pourra vérifier le bon fonctionnement des installations avec du matériel certifié.
Attention aux conclusions hâtives
En définitive, si cette vidéo a su capter l’attention des internautes, son contenu peine à résister à l’analyse des experts. Malgré les millions de vues engrangées sur TikTok, aucun élément tangible ne vient accréditer la thèse d’une arnaque généralisée sur les volumes de carburants en France. Au contraire, les données disponibles tendent à montrer que les anomalies restent extrêmement rares et ponctuelles.
Face à la force de frappe des réseaux sociaux, il convient donc de garder son esprit critique et de ne pas tirer de conclusions trop hâtives. Derrière des images choc et des accusations fracassantes peuvent parfois se cacher des réalités bien plus nuancées. À l’heure de la désinformation galopante, la prudence reste plus que jamais de mise.
