C’est un véritable séisme politique qui secoue actuellement la Moldavie. Dimanche dernier, les citoyens de cette ex-république soviétique étaient appelés aux urnes pour se prononcer sur l’intégration de leur pays à l’Union Européenne lors d’un référendum historique. Et contre toute attente, c’est le “oui” qui l’a finalement emporté. Mais d’une très courte tête, et dans des circonstances pour le moins troubles.
Un revirement de situation inattendu
Tout au long de la soirée électorale, les premiers dépouillements laissaient en effet présager une victoire assez nette du “non”. Avec près de 56% des voix après le dépouillement de 40% des bulletins, le rejet de l’adhésion à l’UE semblait en très bonne voie. Mais c’était sans compter un spectaculaire retournement de situation dans le décompte final.
Au petit matin, la commission électorale annonçait contre toute attente un score de 50,46% en faveur du “oui”, avec seulement quelques milliers de voix d’avance. Un résultat inespéré pour le camp pro-européen et la présidente sortante Maia Sandu, elle-même candidate à sa réélection et fervent soutien d’un rapprochement avec l’UE.
Des accusations de fraudes qui se multiplient
Mais très vite, ce résultat a été entaché de soupçons. À commencer par la Russie, qui n’a pas tardé à dénoncer des “anomalies” dans le comptage des voix. Une accusation grave, mais pas vraiment surprenante de la part de Moscou, qui voit d’un très mauvais œil ce virage pro-occidental de son ancien satellite.
Mais les critiques ne se limitent pas au Kremlin. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses voix se sont rapidement élevées pour crier à la manipulation. Certains dénoncent un “énième coup d’État euromondialiste”, d’autres pointent des “ingérences européistes et américaines massives” durant la campagne. Des allégations relayées par certaines personnalités politiques, à l’instar de l’ancien eurodéputé Florian Philippot.
Hier, le non à l’UE caracolait en tête à 56%, mais ce matin miraculeusement, le oui l’emporte à 50,1% ! […] Ces soudains retournements électoraux interrogent…
– Florian Philippot, sur le réseau social X
Un processus jugé globalement satisfaisant
Pour autant, au-delà de ces accusations, le processus électoral en lui-même a été jugé plutôt satisfaisant par les observateurs internationaux dépêchés sur place. Le Conseil de l’Europe, chargé de défendre la démocratie et les droits de l’homme sur le Vieux continent, a souligné que le scrutin s’était déroulé dans le calme, avec seulement quelques problèmes de procédure recensés.
Un constat partagé par la plupart des experts électoraux, qui expliquent le revirement des résultats par le vote tardif de la diaspora moldave, globalement plus favorable à l’adhésion européenne. Ce basculement dans les derniers dépouillements aurait ainsi “sauvé la mise” de la présidente Maia Sandu.
Des ingérences russes pointées du doigt
Reste que les soupçons d’ingérences dans la campagne, eux, sont bien réels. Et c’est surtout du côté de la Russie qu’il faut regarder. Ces dernières semaines, les révélations sur des tentatives de Moscou pour perturber le scrutin se sont en effet multipliées.
Début octobre, la police moldave dévoilait l’implication de 130.000 citoyens dans un vaste système d’achat de voix piloté depuis la Russie. Des tracts prorusses ont également été saisis, tandis que les enquêteurs ont révélé l’envoi de centaines de Moldaves en Russie pour y être “entraînés” à perturber les votes.
La Moldavie à la croisée des chemins
Au final, malgré sa courte avance, la véritable surprise n’est peut-être pas tant la victoire du “oui” que la force inattendue du “non”. Car jusqu’à présent, les sondages donnaient l’adhésion à l’UE largement gagnante dans l’opinion moldave, avec près de deux tiers des intentions de vote.
Ce résultat très serré témoigne donc d’une société profondément divisée sur son avenir, tiraillée entre ses attaches historiques avec la Russie et ses aspirations européennes. Un dilemme qui n’est pas sans rappeler celui de l’Ukraine voisine il y a quelques années, avant le déclenchement de la guerre.
Pour la Moldavie, ce référendum marque en tout cas un tournant décisif. Avec ce “oui” arraché de haute lutte, le pays entame un virage géopolitique majeur, qui promet d’être semé d’embûches. Car au-delà des accusations de fraudes, c’est bien la question de la légitimité et de l’acceptation de ce choix qui risque de se poser dans les mois à venir, sur fond de tensions avec Moscou.
Un défi de taille pour la présidente Maia Sandu, qui devra réussir l’exploit de rassembler un pays plus que jamais fracturé si elle veut mener à bien ce rapprochement avec l’Europe. Et éviter que la Moldavie ne devienne, après l’Ukraine, un nouveau point de friction entre l’Occident et la Russie.