C’est une page qui se tourne dans l’histoire mouvementée de la Turquie contemporaine. Fethullah Gülen, le prédicateur musulman exilé aux États-Unis depuis un quart de siècle et ennemi juré du président turc Recep Tayyip Erdogan, est décédé à l’âge de 84 ans. Sa mort, annoncée par ses proches outre-Atlantique, a été confirmée lundi par Ankara.
Inspirateur du mouvement Hizmet (“Service” en turc), Gülen avait été un allié de poids pour Erdogan avant que leur relation ne vire à l’affrontement féroce. Depuis plus d’une décennie, l’imam était accusé par le pouvoir turc de diriger un groupe “terroriste”, une accusation qu’il a toujours rejetée, affirmant n’être à la tête que d’un réseau d’organisations caritatives et d’entreprises.
De l’alliance à la rivalité : le tournant des années 2010
La rupture entre les deux hommes remonte à 2013, lorsqu’un scandale de corruption orchestré par des magistrats proches de Gülen avait éclaboussé l’entourage d’Erdogan, alors Premier ministre. Depuis son exil américain, où il s’était installé de son plein gré en 1999, le prédicateur aura échappé aux représailles d’Ankara pendant près de quinze ans.
Le tournant du putsch manqué de 2016
Mais c’est surtout après la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, dont Ankara a immédiatement accusé le mouvement guléniste, que la traque s’est intensifiée. De vastes purges ont été lancées dans les rangs supposés acquis à Gülen, une chasse aux sorcières qui se poursuit encore aujourd’hui, bien qu’à une moindre échelle.
La lutte contre cette organisation, qui continue de constituer un problème fondamental de sécurité nationale, se poursuivra.
Yilmaz Tunç, ministre turc de la Justice
Selon les autorités turques, des poursuites ont été engagées contre près de 700 000 personnes soupçonnées d’appartenir au réseau guléniste. Parmi elles, 3000 accusées d’avoir joué un rôle dans le putsch manqué ont été condamnées à la prison à vie. Plus de 125 000 fonctionnaires, dont 24 000 militaires et des milliers de magistrats, ont également été limogés.
Un héritage en demi-teinte
Si le mouvement Hizmet avait réussi à tisser un réseau d’influence tentaculaire, notamment à travers ses écoles implantées dans le monde entier, son image et son poids ont considérablement souffert de la vindicte d’Ankara ces dernières années. Selon Bayram Balci, chercheur au Ceri-Sciences Po à Paris, la disparition de Gülen “restera un non-événement en Turquie”, où la mouvance qu’il incarnait est désormais très affaiblie.
Depuis la rupture avec Erdogan en 2010 et surtout après la tentative de coup d’État en 2016, l’image de Gülen est très mauvaise. Très peu de gens lui ont gardé leur estime.
Bayram Balci, chercheur au Ceri-Sciences Po
Déchu de sa nationalité turque en 2017 et considéré comme un “traître” par Ankara, Fethullah Gülen aura jusqu’au bout suscité la controverse dans son pays natal. Alors qu’il avait émis le souhait d’être inhumé à Izmir, dans l’ouest de la Turquie, il est peu probable que sa dernière volonté soit exaucée. Selon des sources sécuritaires turques citées par la chaîne NTV, l’organisation guléniste aurait décidé de garder secret le lieu de sa sépulture, qui pourrait se trouver dans une forêt appartenant à un haut responsable du mouvement aux États-Unis.
Un ultime rebondissement dans une vie faite de contrastes et de retournements, à l’image des relations tumultueuses entre Fethullah Gülen et le pouvoir turc. Si sa mort marque indéniablement la fin d’une époque, elle ne met pas pour autant un terme à la lutte acharnée d’Ankara contre ses partisans, un combat devenu au fil des ans l’un des piliers de la politique d’Erdogan.
