Imaginez un paradis insulaire envahi par une marée humaine incessante. C’est le cauchemar que vivent actuellement les habitants des Iles Canaries, cet archipel espagnol niché dans l’océan Atlantique. Exaspérés par les conséquences délétères d’un tourisme de masse débridé, des milliers d’insulaires ont investi les rues ce dimanche pour crier leur ras-le-bol et exiger des changements radicaux.
Un archipel pris d’assaut par les visiteurs
Avec ses plages de sable fin, son climat idyllique et ses paysages volcaniques à couper le souffle, les Canaries attirent chaque année des millions de touristes en quête de dépaysement. En 2023, un nombre record de 16,2 millions de personnes ont foulé le sol de cet archipel, soit plus de sept fois la population locale qui compte 2,2 millions d’âmes. Une situation devenue insoutenable pour beaucoup d’insulaires.
Une économie dépendante, des habitants en souffrance
Le tourisme est le moteur économique des Canaries, employant quatre habitants sur dix et représentant 36% du PIB. Mais cette manne financière ne profite pas à tous de la même façon. De nombreux Canariens se plaignent d’être exclus des bénéfices générés par le secteur, tout en subissant de plein fouet ses externalités négatives comme la hausse des loyers et la dégradation de leur cadre de vie.
Cette plage est à nous !
scandaient les manifestants rassemblés à Playa de las Americas sur l’île de Tenerife.
Une personne sur trois est menacée par la pauvreté aux Canaries selon le Réseau européen de lutte contre la pauvreté (EAPN). Un paradoxe cruel quand on sait les sommes colossales brassées par l’industrie touristique locale.
Un développement incontrôlé et destructeur
Au-delà des problèmes socio-économiques, c’est tout le modèle de développement qui est pointé du doigt. Les manifestants dénoncent la bétonisation à outrance du littoral, l’artificialisation des sols et la surexploitation des ressources naturelles pour satisfaire l’appétit gargantuesque du tourisme de masse.
Ivan Cerdena, porte-parole de l’association environnementale ATAN, fustige ces “immenses blocs de béton créés pour l’usage exclusif des touristes” qui défigurent les côtes de l’archipel.
L’appel au changement
Face à cette situation explosive, les manifestants exigent:
- Une limitation drastique du nombre de visiteurs
- Des freins règlementaires à un développement jugé incontrôlé et destructeur
- Une meilleure répartition des richesses générées par le tourisme
- Des mesures concrètes pour préserver l’environnement et le cadre de vie
Reste à savoir si le gouvernement régional, tiraillé entre les impératifs économiques et la grogne populaire, saura trouver les réponses adéquates. Les regards sont plus que jamais braqués sur les Canaries, devenues malgré elles le symbole des dérives d’un tourisme de masse aux antipodes de la durabilité.
Un réveil citoyen aux Canaries et au-delà
Ces mobilisations massives marquent un tournant dans la prise de conscience collective des ravages causés par un tourisme non régulé. Elles font écho à des mouvements similaires observés à Barcelone, Venise ou Dubrovnik, autres villes martyrisées par des flux touristiques débordants.
Au-delà du cas particulier des Canaries, c’est tout un modèle de développement touristique qui est remis en cause. Un modèle prédateur et excluant, qui sacrifie le bien-être des populations locales et la préservation des écosystèmes sur l’autel du profit à court terme.
L’heure est venue de repenser en profondeur notre rapport au voyage et à l’altérité. De promouvoir des formes de tourisme plus responsables, respectueuses des habitants et de leur environnement. La lutte des Canariens est celle de toutes les communautés asphyxiées par un tourisme hors de contrôle. Leur cri d’alarme résonne comme un appel à bâtir un monde où l’humain et la nature reprennent leurs droits face aux excès de la marchandisation.
