Qui aurait cru qu’un simple médicament en vente libre comme le Doliprane soulèverait autant de passions ? Depuis l’annonce par Sanofi de son intention de vendre une partie de sa branche médicaments sans ordonnance, incluant le fameux paracétamol, c’est une véritable tempête politique et médiatique qui s’est déclenchée en France. Au-delà du symbole, cette affaire révèle les enjeux cruciaux de souveraineté industrielle et d’attractivité auxquels notre pays est confronté.
Le Doliprane, Incarnation de l’Exception Française
Avec près de 500 millions de boîtes vendues chaque année, le Doliprane est bien plus qu’un simple antidouleur. C’est un véritable emblème national, présent dans toutes les pharmacies familiales. Son nom est entré dans le langage courant comme synonyme de paracétamol. Cette success story à la française est le fruit d’un savoir-faire industriel et d’une stratégie commerciale efficace de Sanofi depuis des décennies.
Mais voilà qu’aujourd’hui, ce fleuron tricolore pourrait passer sous pavillon américain. Le fonds d’investissement CD&R est en effet pressenti pour reprendre la majorité du capital de la filiale de médicaments grand public de Sanofi, Opella. Une perspective qui inquiète au plus haut niveau de l’État.
Souveraineté Sanitaire : le Talon d’Achille Français
Car derrière la bataille du Doliprane se joue en réalité un enjeu autrement plus vaste : celui de notre souveraineté sanitaire. La crise du Covid a mis en lumière la forte dépendance de la France et de l’Europe aux médicaments et principes actifs fabriqués à l’étranger, notamment en Asie. Une situation préoccupante en cas de tension sur les chaînes d’approvisionnement.
80% des principes actifs utilisés en Europe proviennent de Chine et d’Inde.
– Selon une étude de l’EFCG
Dans ce contexte, laisser filer un médicament aussi essentiel que le Doliprane apparaît pour beaucoup comme une erreur stratégique majeure. D’autant que Sanofi dispose d’un des rares sites de production de paracétamol en France et en Europe, à Lisieux en Normandie.
Le Dilemme de l’Attractivité Économique
Mais l’exécutif se retrouve face à un dilemme cornélien. Car s’opposer frontalement à l’opération enverrait un très mauvais signal en termes d’attractivité. À l’heure où la France cherche à attirer les investissements étrangers, bloquer la vente à un fonds américain serait perçu comme un repli protectionniste.
Le gouvernement l’a bien compris et s’efforce de trouver un équilibre subtil. Pas question de brandir un veto, mais plutôt d’obtenir des garanties, notamment sur le maintien de la production en France. Une façon de concilier souveraineté et ouverture.
Vers une Politique Industrielle Plus Affirmée ?
Au-delà du cas Doliprane, cette affaire pose la question de la politique industrielle française. Pendant des années, l’État a laissé les entreprises nationales être rachetées par des groupes étrangers, au nom du libre-marché et de la mondialisation heureuse. Mais la multiplication des crises a fait évoluer les mentalités.
- Prise de conscience des vulnérabilités liées aux dépendances industrielles
- Volonté de relocaliser certaines productions stratégiques
- Mise en place de mécanismes de contrôle des investissements étrangers
Sans tomber dans un dirigisme d’un autre âge, beaucoup appellent aujourd’hui à une stratégie plus volontariste pour protéger nos intérêts vitaux. Le dossier Doliprane sera un test de cette nouvelle doctrine.
Quelles Leçons pour l’Avenir ?
Quelle que soit l’issue du bras de fer autour du Doliprane, cette affaire aura eu le mérite de poser des questions essentielles. Dans un monde instable et compétitif, aucun pays ne peut se permettre de laisser ses fleurons industriels et ses capacités stratégiques lui échapper.
Elle rappelle aussi que la santé n’est pas une marchandise comme une autre. Garantir un accès pérenne à des médicaments abordables et de qualité est une responsabilité cardinale des pouvoirs publics. Un impératif qui doit parfois primer sur les logiques de marché.
Enfin, le feuilleton Doliprane illustre la complexité des choix stratégiques auxquels sont confrontés les États dans une économie mondialisée. Entre patriotisme économique et attractivité, entre sécurité sanitaire et liberté d’entreprendre, l’équation est souvent délicate à résoudre. Ce qui est sûr, c’est qu’à l’avenir, ces arbitrages seront déterminants pour notre souveraineté et notre prospérité.