Imaginez la scène : un rabbin, un curé et Michel Houellebecq réunis autour d’une même table pour débattre d’un sujet brûlant d’actualité : l’euthanasie. C’est le pari fou que s’est lancé le magazine L’Incorrect en orchestrant cette rencontre aux allures de blague mais qui s’avère finalement d’une profondeur insoupçonnée. Au programme : des échanges passionnants et des questionnements existentiels qui bousculent les certitudes.
Un trio improbable pour un débat crucial
Quand on pense “euthanasie”, Houellebecq n’est pas forcément le premier nom qui vient à l’esprit. Pourtant, l’écrivain sulfureux a exprimé à plusieurs reprises son opposition farouche à la légalisation de l’aide active à mourir. Mais que se passe-t-il lorsqu’il est confronté à un homme d’Église et un érudit du judaïsme ? C’est tout l’objet de ce face-à-face inédit entre l’abbé Pierre Vivarès, le grand rabbin de France Haïm Korsia et l’auteur d’Anéantir.
Loin des postures et des clichés, les trois hommes livrent une réflexion éclairante sur ce sujet sensible qui divise la société française. Au fil d’un entretien riche en anecdotes et en références, ils explorent les aspects philosophiques, religieux et moraux qui sous-tendent le débat sur l’euthanasie.
Peut-on s’opposer à l’euthanasie sans croire en Dieu ?
C’est la question centrale que soulève Michel Houellebecq, lui qui se définit comme agnostique. Pour l’écrivain, s’il est possible de refuser l’euthanasie sans motivations religieuses, les arguments les plus solides restent ceux qui font appel à la transcendance et au caractère sacré de la vie. Une vision que partagent évidemment ses interlocuteurs, forts de leur foi et de leur engagement spirituel.
« La vraie question est : est-ce que la vie a un sens ? Si elle n’en a pas, alors effectivement l’euthanasie est une option. Mais si la vie a un sens, ce sens nous dépasse et il est fondé sur quelque chose qui n’est pas de l’ordre humain. »
– Michel Houellebecq
Mais le grand rabbin Korsia n’est pas en reste et apporte une nuance intéressante en rappelant que dans le judaïsme, la vie n’appartient pas à l’homme mais à Dieu. Dès lors, nul ne peut décider d’y mettre fin, même dans la souffrance. Une vision que tempère l’abbé Vivarès en évoquant la notion de liberté et de choix individuel chère au christianisme.
Au-delà des clivages religieux, une réflexion universelle
Si les trois hommes ont des approches différentes, ils se rejoignent sur l’essentiel : la nécessité de préserver la dignité humaine jusqu’au bout. Pour eux, légaliser l’euthanasie reviendrait à franchir une ligne rouge en banalisant la mort et en niant la valeur intrinsèque de chaque existence, même diminuée ou souffrante.
Mais au-delà des considérations morales, c’est aussi une réflexion sur le “vivre-ensemble” et la solidarité qui émerge de cet échange. En refusant l’euthanasie, ne réaffirme-t-on pas notre devoir d’accompagnement et de compassion envers les plus vulnérables ? Un questionnement qui résonne comme un appel à l’humanité au cœur d’une société de plus en plus individualiste.
Vers une loi respectueuse de toutes les sensibilités ?
Si Houellebecq, Korsia et Vivarès se montrent critique envers le projet de loi sur la fin de vie, ils ne sont pas pour autant dans une opposition stérile. Conscients des attentes sociétales, ils plaident pour une législation qui saurait concilier l’impératif de soulager la souffrance et le respect de la vie sous toutes ses formes.
« Plutôt que de donner la mort, donnons du sens à la vie, jusqu’au dernier souffle. C’est tout le défi d’une société qui se veut à la fois libre et fraternelle. »
– Grand Rabbin Haïm Korsia
En définitive, ce débat hors-norme démontre que sur les sujets les plus fondamentaux, il est possible de dépasser les clivages religieux ou philosophiques pour rechercher ce qui nous unit : notre commune humanité. Une leçon de sagesse et de tolérance dont notre époque troublée a bien besoin. Reste à espérer que nos dirigeants sauront s’en inspirer au moment de légiférer sur cette question cruciale.
