C’est une disparition aussi soudaine que déchirante qui vient de frapper le monde du rap et des premiers secours américains. Samedi dernier, le rappeur Kasseem Ryan, plus connu sous le pseudonyme Ka, est décédé à l’âge de 52 ans, comme l’ont annoncé ses proches dans un communiqué bouleversant partagé sur Instagram. Figure discrète mais essentielle de la scène underground new-yorkaise, l’artiste menait depuis des années une double vie hors du commun, entre sa carrière musicale et son métier de capitaine des pompiers de New York.
Un destin entre feu et flow
Né et élevé à Brooklyn, Ka a découvert sa passion pour le rap dès l’adolescence, d’abord au sein du groupe Natural Elements dans les années 90. Mais loin de se contenter d’une carrière artistique, il choisit aussi de s’engager chez les pompiers de New York après le lycée. Une décision qui prendra tout son sens le 11 septembre 2001, lorsqu’il fera partie des premiers intervenants sur les lieux des attentats du World Trade Center. Un événement traumatique qui marquera durablement l’homme et nourrira l’œuvre introspective du rappeur.
Une carrière en toute indépendance
Après s’être fait un nom au sein du duo Nightbreed dans les années 2000, aux côtés de son complice Kev, décédé en 2015, Ka se lance dans une carrière solo aussi atypique que son parcours. À partir de 2008 et son premier album Iron Works, entièrement auto-produit, l’artiste impose sa patte sobre et son écriture dense, matinée de spiritualité, forgée par les drames personnels et les tourments de sa ville. Ka restera farouchement indépendant tout au long de sa discographie, faisant de son label Iron Works une couveuse pour ses projets et ceux de ses proches.
C’est drôle. Ils (ses collègues pompiers, NDLR) ne savaient pas que je rappais depuis longtemps, mais ”Grief Pedigree” (son album sorti en 2012, NDLR) a mis un terme à cela. L’un des gars rentrait chez lui après le travail et il a entendu (la chanson, NDLR) ”Cold Facts” à la radio.
– Kasseem Ryan en 2013 au média américain Complex
Sa méthode de travail artisanale et son mode de distribution confidentiel n’empêcheront pas Ka de s’attirer les éloges de la critique spécialisée, avec des opus comme Grief Pedigree (2012) ou Honor Killed The Samurai (2016). L’artiste cultivera les collaborations de haute volée avec des producteurs de légende comme Preservation ou Animoss. Une reconnaissance des grands noms du milieu qui se concrétisera avec Descendants of Cain (2020), un album aux allures de consécration tardive pour ce vétéran intègre et autodidacte.
Un héritage culturel rare
L’annonce de son départ brutal a suscité une vague d’hommages de la part de ses pairs et admirateurs, à l’image du producteur The Alchemist qui a salué la mémoire d’un «prophète vivant» et d’«un homme et artiste authentique», ou du rappeur Westside Gunn évoquant une «légende». Beaucoup ont souligné son dévouement sans faille, autant dans son art que dans son engagement au service de la ville de New York, à l’image d’El-P du duo Run the Jewels:
Je ne peux imaginer l’intégrité et la force de caractère que cela a dû demander de poursuivre sa vocation créative tout en étant une constante source d’aide, et parfois le dernier espoir dans les pires moments de la vie des gens. Son dévouement à l’art et au service restera pour moi une leçon à jamais.
– El-P sur Twitter
Au-delà du choc et de la tristesse, la disparition de Ka laissera un grand vide dans le paysage culturel new-yorkais. Son dernier album, Woeful Studies, sorti en 2021, restera comme le testament lumineux d’un rappeur et d’un homme dont la voix unique et l’engagement total auront marqué son époque, dans l’ombre et la lumière.