C’est un procès très attendu qui devait s’ouvrir ce lundi au tribunal correctionnel de Pontoise. Celui de la professeure de français poursuivie pour harcèlement dans l’affaire du suicide d’Evaëlle, cette collégienne de 11 ans qui a mis fin à ses jours en juin 2019 après avoir subi un harcèlement scolaire « très exacerbé ». Mais à la demande de l’avocate de l’enseignante, l’audience a été renvoyée pour des questions d’agenda, repoussant le moment de la confrontation avec les faits et la quête de vérité des proches d’Evaëlle.
Cette tragédie, qui avait suscité une vive émotion, soulève de nombreuses interrogations sur la responsabilité du corps enseignant face au harcèlement scolaire et la manière dont ces situations sont gérées au sein des établissements. L’enquête, qui s’est étalée sur plusieurs années, a permis de mettre en lumière des faits troublants et des témoignages concordants d’élèves faisant état du comportement problématique de cette professeure envers Evaëlle et d’autres enfants.
Une professeure dans le viseur de la justice
Selon les éléments de l’enquête, l’enseignante aurait pris Evaëlle pour cible dès le début de l’année scolaire, l’exposant à des brimades répétées qui auraient encouragé d’autres élèves à la harceler à leur tour. Trois autres victimes potentielles de cette professeure ont été identifiées, dont deux pour lesquelles la justice a également prononcé un renvoi devant le tribunal correctionnel.
Face à ces accusations graves, la principale intéressée conteste toute responsabilité. Son avocate a d’ailleurs demandé le renvoi du procès, évoquant des contraintes d’agenda. Un argument qui passe mal auprès des parties civiles, pour qui ce nouveau délai est difficile à accepter plus de quatre ans après le drame.
Des zones d’ombre à éclaircir
Au-delà de la seule responsabilité individuelle de cette enseignante, c’est tout le fonctionnement de l’établissement et la manière dont cette situation a été gérée qui interpelle. La juge d’instruction a prononcé un non-lieu concernant le principal du collège initialement entendu comme témoin assisté pour « homicide involontaire », estimant qu’un lien direct entre le harcèlement subi et le suicide ne pouvait être établi. Une décision qui ne convainc pas certains proches d’Evaëlle.
De nombreuses questions restent en suspens. Les signaux d’alerte émis par Evaëlle et sa famille ont-ils été suffisamment pris au sérieux et des mesures appropriées ont-elles été mises en place ? L’établissement disposait-il des outils et procédures pour repérer et traiter efficacement ces situations? Le corps enseignant était-il suffisamment sensibilisé et formé ?
Une tragédie qui en rappelle d’autres
Le suicide d’Evaëlle est malheureusement loin d’être un cas isolé. Chaque année, le harcèlement scolaire fait de nouvelles victimes, brisant des vies et des familles. Des drames qui soulèvent immanquablement la question de la responsabilité des adultes et des établissements face à la souffrance et la détresse des élèves.
En France, près d’un élève sur dix serait victime de harcèlement scolaire selon les dernières études.
– Ministère de l’Éducation nationale
Si des progrès ont été réalisés ces dernières années avec notamment la mise en place d’un cadre règlementaire renforcé et de dispositifs de prévention, de repérage et de traitement dans les établissements, force est de constater que cela ne suffit pas à endiguer le phénomène. Trop d’élèves continuent à souffrir en silence, par peur ou par honte, sans que leur détresse ne soit perçue et prise en charge à temps.
Responsabiliser sans diaboliser
S’il est essentiel que la justice passe et que les responsabilités soient établies lorsque des manquements graves sont avérés, il ne faudrait pas pour autant tomber dans la diabolisation du corps enseignant. La grande majorité des professeurs exercent leur mission avec dévouement et bienveillance, souvent dans des conditions difficiles. Eux aussi peuvent se sentir démunis face à ces situations complexes.
C’est toute la communauté éducative qui doit être mobilisée et outillée pour prévenir et combattre ce fléau : enseignants mais aussi personnels de direction, de vie scolaire, de santé, parents d’élèves… Une action coordonnée et un véritable travail de fond sont nécessaires pour faire évoluer durablement les mentalités et les pratiques.
Pour que le combat d’Evaëlle ne soit pas vain
Au-delà de l’émotion et de l’indignation suscitées par le drame, il faut espérer que le combat mené par les proches d’Evaëlle permettra de faire avancer les choses. Que son histoire serve de prise de conscience pour que plus jamais un enfant n’en arrive à mettre fin à ses jours pour échapper à la violence du harcèlement.
Le procès de la professeure aura finalement lieu en mars prochain. D’ici là, la famille et les amis d’Evaëlle devront puiser dans leurs ressources pour tenir bon, continuer à se battre en son nom pour que la vérité et la justice triomphent. Pour qu’elle puisse enfin reposer en paix.