Il y a des dates qui marquent une vie, qui tracent une ligne de démarcation entre un avant et un après. Pour les élèves et les enseignants de la cité scolaire Gambetta d’Arras, ce jour fatidique est le 13 octobre 2023. Ce jour-là, leur professeur de français Dominique Bernard était lâchement assassiné par Mohammed Mogouchkov, un terroriste islamiste. Un an après le drame, la communauté éducative tente tant bien que mal de se reconstruire, de redonner un sens à une existence à jamais bouleversée.
Le Dernier Message de M. Bernard
Tayron, 13 ans, manipule avec précaution son carnet de liaison comme s’il s’agissait d’une relique. Il s’arrête sur une page, celle du 3 octobre 2023. Trois lignes tracées au stylo noir, les derniers mots couchés par M. Bernard :
« Tayron s’amuse à faire des avions en papier et ne tient guère compte des observations qu’on peut lui faire. Il viendra en retenue. M. Bernard. »
« C’est la raison pour laquelle j’ai voulu garder ce carnet, confie Tayron, la gorge nouée. Pour me souvenir et parce que ça me fait bizarre de me dire que plus aucun autre élève n’aura droit à ce genre de message. » La banalité de ces mots prend aujourd’hui une dimension vertigineuse. Derrière la réprimande, transparaît la bienveillance d’un professeur attentif à chacun de ses élèves.
Une Année de Deuil et de Questionnements
Depuis ce 13 octobre 2023, rien n’est plus pareil au sein de la cité scolaire. « Cette année a été très dure pour tout le monde, reconnaît Mme Dubois, la principale. Les élèves comme les enseignants ont dû faire face au choc, à l’incompréhension, à la peur aussi. » Pourquoi M. Bernard ? Pourquoi notre école ? Ces questions lancinantes ont hanté les esprits de ces adolescents propulsés bien trop tôt dans la dureté du monde.
« Au début, beaucoup avaient peur de revenir en classe, de s’asseoir à leur place, se souvient Léa, en 3ème. On s’attendait presque à voir M. Bernard passer la porte. » Le retour à une vie scolaire normale a pris du temps. « Il a fallu réapprendre à se concentrer, à suivre les cours comme avant, alors que notre pensée était ailleurs », explique Mattéo, un autre élève.
Les Enseignants en Première Ligne
Face aux élèves perdus et meurtris, les enseignants ont dû eux aussi puiser dans leurs réserves pour rester à flot. « On était tous sonnés, abasourdis par cet acte barbare, raconte M. Leroy, professeur d’histoire. Mais il fallait tenir bon, être là pour les élèves, les rassurer, les écouter. » Un soutien psychologique a été mis en place, des groupes de parole organisés. Mais la meilleure thérapie restait encore de maintenir le lien, le dialogue au sein des classes.
Dans cette épreuve, les professeurs de Gambetta ont pu compter sur le soutien indéfectible de leurs collègues du collège du Bois d’Aulne où enseignait Samuel Paty. « Leur solidarité, leurs conseils nous ont été précieux, souligne Mme Dubois. Ils nous ont aidés à ne pas sombrer. » Deux établissements, deux tragédies, une même volonté de continuer malgré tout à transmettre et à éveiller les consciences.
Dominique Bernard, à Tout Jamais dans les Mémoires
Vendredi prochain, pour le triste anniversaire de l’attentat, une cérémonie d’hommage sera organisée au sein de la cité scolaire. L’occasion de se souvenir de l’homme et du professeur d’exception qu’était Dominique Bernard. « C’était un prof exigeant mais toujours à l’écoute, passionné par son métier », se remémore Léa avec émotion.
Un arbre sera planté dans la cour en sa mémoire, un ginkgo biloba, symbole de résistance et de résilience. Sur une plaque, seront gravés ces mots de Victor Hugo qu’il aimait tant : « Ce qui fait l’homme grand, c’est le sève du savoir digne de l’instruire. C’est l’influx moral fort pour l’édifier. » En somme, tout ce que Dominique Bernard s’est évertué à transmettre à des générations d’élèves et qui, malgré la noirceur de la haine, continuera de germer encore et toujours.