Le monde de la photographie est en deuil. Eikoh Hosoe, figure tutélaire de la photographie nippone, s’est éteint le 16 septembre 2023 à l’âge de 91 ans. Portraitiste halluciné d’un Mishima bouche emplie de roses, explorateur des corps tourmentés du butô, Hosoe laisse derrière lui une œuvre aussi sensuelle que subversive, miroir d’un Japon hanté par les fantômes de la guerre.
Un maître de la photographie japonaise
Né en 1933 dans la préfecture de Yamagata sous le nom de Toshihiro Hosoe, il adoptera après-guerre le pseudonyme d’Eikoh, signifiant “le grand homme anglais”. Ce changement de nom est révélateur de l’ouverture sur le monde qui caractérisera toute sa carrière. Diplômé en 1954 du Tokyo College of Photography, il émerge rapidement comme une figure centrale de l’avant-garde artistique japonaise d’après-guerre.
Son style unique, mêlant surréalisme, érotisme et références mythologiques, marque une rupture avec la tradition photographique nippone. Hosoe devient le portraitiste des âmes tourmentées du Japon moderne, de l’écrivain Yukio Mishima à la chorégraphe de butô Tatsumi Hijikata.
Une collaboration mythique avec Yukio Mishima
En 1961, Hosoe rencontre Mishima par le biais du danseur Tatsumi Hijikata. Fasciné par les clichés du chorégraphe réalisés par Hosoe, l’écrivain invite le photographe à réaliser son portrait. C’est le début d’une collaboration intense et sulfureuse.
Hosoe retrouve l’écrivain dans sa fantastique maison au cœur de Tokyo et, voyant au milieu de son jardin pavé d’une vaste mosaïque circulaire représentant les douze signes du zodiaque, a l’idée d’une collaboration plus aboutie.
– Jean-Kenta Gauthier, galeriste
De cette rencontre naîtra Barakei (connu sous le titre Ordeal by Roses en Occident), œuvre magistrale publiée en 1963. Les photographies érotiques et baroques de Mishima, corps ligoté de cordes et bouche emplie de roses, deviendront l’une des séries les plus iconiques du photographe.
L’explorateur des ténèbres du butô
Mais l’œuvre d’Hosoe ne se limite pas à sa collaboration avec Mishima. Il sera aussi le photographe attitré de la danse butô et de ses figures tutélaires, Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno. Cette “danse des ténèbres”, forme radicale et provocatrice née dans le Japon d’après-guerre, trouve en Hosoe son plus grand portraitiste.
Des corps nus et tordus sur fond noir de Man and Woman (1959) au chef-d’œuvre Kamaitachi (1969), inspiré par les souvenirs d’évacuation du photographe pendant la guerre, Hosoe capture comme nul autre l’essence sombre et subversive du butô. Ses images puissantes et souvent abstraites expriment toute la révolte d’une génération face aux traumatismes de la guerre.
Un héritage immense pour la photographie
Figure respectée et influente, véritable “sensei” pour des générations de photographes, Hosoe n’a eu de cesse de promouvoir la photographie comme forme d’art majeure au Japon. Cofondateur en 1959 de l’agence VIVO aux côtés d’autres grands noms comme Shomei Tomatsu, il a œuvré toute sa vie pour la reconnaissance de la photographie d’auteur.
Eikoh Hosoe était le «Sensei», le maître de sa génération de photographes au Japon. Puis de ceux qui leur ont succédé, tant par son travail pionnier d’avant-garde dans les années 1960 et 1970 que par son soutien apporté aux jeunes photographes, et ce jusqu’à sa mort.
– Simon Baker, directeur de la Maison Européenne de la Photographie
Avec la disparition d’Eikoh Hosoe, c’est une page de l’histoire de la photographie qui se tourne. Mais son œuvre, intense et intemporelle, continuera à hanter et inspirer les générations futures. Dernier des grands maîtres de l’après-guerre, Hosoe laisse un héritage immense, celui d’une photographie japonaise humaniste et visionnaire, miroir d’une nation hantée par ses démons mais résolument tournée vers l’avenir.