C’est un symbole des dérives du maintien de l’ordre et des violences policières qui ont émaillé la révolte des Gilets jaunes. Jérôme Rodrigues, l’une des figures de proue du mouvement, a perdu l’usage de son œil droit le 26 janvier 2019, place de la Bastille à Paris, touché par un tir de grenade de désencerclement. Trois ans après les faits, l’heure des comptes a sonné. Le parquet de Paris vient de requérir un procès devant la cour criminelle départementale pour Brice C., le policier suspecté d’avoir éborgné le manifestant.
Un policier devant la justice pour “violences avec arme”
Mis en examen depuis janvier 2021, le fonctionnaire de police est poursuivi pour “violences avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente”. Un crime passible de 15 ans de réclusion criminelle. Il encourt donc un procès aux assises.
Durant l’enquête menée conjointement par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et un juge d’instruction, le travail a consisté à éplucher les nombreuses vidéos amateurs et de vidéo surveillance pour reconstituer le déroulé précis des faits et les responsabilités de chacun. La concomitance du tir de LBD et du lancer de grenade sur le groupe de manifestants avait en effet initialement semé le trouble sur l’origine exacte des blessures de Jérôme Rodrigues.
Brice C. plaide la légitime défense
Face aux accusations, Brice C. plaide la légitime défense. “Le gardien de la paix soutient de manière constante depuis le début de cette procédure avoir agi en état de légitime défense”, a déclaré son avocat Me Sébastien Journé.
Ils vont devoir rendre des comptes : Laurent Nuñez, les syndicats de police, la place Beauvau et Emmanuel Macron, tous responsables des victimes du maintien de l’ordre.
Arié Alimi, avocat de Jérôme Rodrigues
23 manifestants éborgnés durant la révolte des Gilets jaunes
L’affaire Jérôme Rodrigues est emblématique des violences et mutilations infligées aux manifestants lors du soulèvement populaire des Gilets jaunes qui a secoué la France pendant plusieurs mois en 2018-2019. Un lourd bilan humain avec, selon un décompte de l’AFP, au moins 23 manifestants ayant perdu l’usage d’un œil, principalement à cause de tirs de LBD.
Pourtant, à ce jour, aucune condamnation d’un membre des forces de l’ordre n’a été prononcée pour ces blessures graves et irréversibles. Une impunité qui choque et interroge sur le respect du droit de manifester et l’usage disproportionné de la force par la police.
Un mouvement social sans précédent réprimé brutalement
Né d’une contestation de la hausse des taxes sur les carburants, le mouvement des Gilets jaunes s’est rapidement transformé en une révolte massive contre les politiques du gouvernement Macron et pour une plus grande justice sociale et fiscale. Des revendications légitimes portées par des centaines de milliers de citoyens descendus dans la rue pendant des mois.
Face à l’ampleur de la mobilisation, la réponse de l’exécutif a été essentiellement sécuritaire et répressive, avec un recours massif aux armes dites “intermédiaires” comme le LBD et les grenades (GMD, GLI-F4…). Un déchaînement de violences policières, cautionné au plus haut niveau de l’Etat, qui a profondément choqué par sa brutalité.
Réparer les victimes, repenser le maintien de l’ordre
Près de 5 ans après, les séquelles physiques et psychologiques restent indélébiles pour les nombreux manifestants blessés et mutilés. L’impunité quasi-totale des forces de l’ordre ne passe plus et il est urgent que la justice passe, pour les victimes, mais aussi pour restaurer la confiance envers la police et apaiser le pays.
Au-delà des procès attendus, c’est aussi toute la doctrine du maintien de l’ordre qui doit être repensée pour sortir d’une logique guerrière. Mieux former les policiers à la désescalade, encadrer strictement l’usage des armes, sanctionner les abus : autant de mesures essentielles pour garantir le droit de manifester, pilier de notre démocratie.
Le procès du policier accusé d’avoir éborgné Jérôme Rodrigues pourrait créer un électrochoc salutaire et marquer un premier pas vers une police exemplaire et respectueuse des citoyens. Il en va de la paix sociale et de l’avenir de notre modèle démocratique.