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Erdogan propose une rencontre surprise à Assad à New York

Coup de théâtre diplomatique : le président turc Erdogan a proposé une rencontre à son homologue syrien Bachar al-Assad à New York, pour tenter de normaliser les relations entre leurs deux pays, au point mort depuis le début du conflit syrien en 2011. Cette main tendue d'Ankara à Damas pourrait-elle changer la donne dans la région ?

C’est une annonce qui a pris de court la communauté internationale. Quelques heures avant son départ pour New York où il doit participer à l’Assemblée générale des Nations unies, le président turc Recep Tayyip Erdogan a affirmé avoir « demandé à rencontrer Bachar al-Assad afin de normaliser les relations entre la Turquie et la Syrie ». Une proposition surprise alors que les deux pays ont rompu leurs liens diplomatiques depuis 2011 et le début du conflit syrien.

La volte-face d’Erdogan sur la Syrie

Depuis plus d’une décennie, la Turquie est l’un des principaux soutiens de l’opposition syrienne dans sa lutte contre le régime de Bachar al-Assad. Ankara a accueilli sur son sol plus de 3,6 millions de réfugiés syriens fuyant la guerre et héberge encore aujourd’hui de nombreux groupes rebelles. Mais ces derniers mois, le ton a changé du côté turc.

Recep Tayyip Erdogan, qui avait juré la perte du « tyran » Assad, multiplie désormais les appels du pied en direction de Damas. En août, le président turc avait évoqué publiquement la possibilité d’une rencontre avec son homologue syrien, avant de réitérer son invitation ce samedi. Un virage à 180 degrés motivé par plusieurs facteurs.

Raisons intérieures : l’opinion publique turque

Tout d’abord, la question des réfugiés syriens est devenue un sujet brûlant en Turquie, à l’approche des élections présidentielle et législatives prévues en 2023. Une large partie de la population voit d’un mauvais œil la présence de cette importante communauté sur le territoire national et réclame son retour au pays. En tendant la main à Assad, Erdogan espère faciliter le rapatriement des réfugiés et marquer des points auprès de son électorat.

Le dossier kurde au cœur des préoccupations turques

Ensuite, le dossier kurde reste la priorité numéro un d’Ankara. La Turquie considère les milices kurdes syriennes comme une menace directe pour sa sécurité et n’a pas hésité à lancer plusieurs offensives dans le nord de la Syrie ces dernières années pour les en déloger. Un rapprochement avec Damas permettrait à la Turquie de s’assurer la coopération du régime syrien dans sa lutte contre les forces kurdes.

Un moyen pour la Turquie de renforcer son influence régionale

Enfin, sur le plan diplomatique, une normalisation des relations avec la Syrie renforcerait considérablement le rôle de la Turquie au Moyen-Orient. Ankara entend bien profiter du retrait relatif des États-Unis de la région pour étendre son influence et s’imposer comme une puissance incontournable. Se rapprocher de Damas, allié de la Russie et de l’Iran, permettrait à Erdogan d’avoir un pied dans chaque camp.

Vers une réconciliation entre Ankara et Damas ?

Si le président turc semble déterminé à amorcer un dialogue avec son voisin syrien, la route vers une pleine normalisation des relations s’annonce encore longue et semée d’embûches. Damas n’a pour l’instant pas officiellement réagi à l’offre d’Erdogan, mais avait rejeté ses précédentes invitations, posant comme préalable un retrait total des forces turques présentes dans le nord syrien. Une ligne rouge pour Ankara.

De son côté, l’opposition syrienne voit d’un très mauvais œil ce rapprochement entre la Turquie et le régime honni de Bachar al-Assad, qu’elle considère comme une trahison. Les groupes rebelles, affaiblis et divisés, craignent d’être lâchés par leur parrain turc comme monnaie d’échange d’un accord avec Damas. La Russie, principal allié du régime syrien, pourrait quant à elle jouer un rôle de médiateur dans cette réconciliation turco-syrienne.

Les motivations d’Erdogan sont avant tout pragmatiques. Il cherche à conforter sa stature internationale et à régler les problèmes intérieurs liés aux réfugiés syriens. Mais une véritable normalisation ne pourra pas se faire sans des concessions majeures de part et d’autre, ce qui est loin d’être acquis.

– Sinan Ülgen, expert en géopolitique à la Fondation Carnegie

Une rencontre entre les présidents Erdogan et Assad à New York constituerait indéniablement un événement symbolique fort. Après plus de dix ans de guerre par procuration, ce tête-à-tête marquerait un premier pas vers l’apaisement des relations entre les deux pays. Mais au-delà de l’effet d’annonce, le chemin de la normalisation s’annonce encore long et tortueux. La méfiance reste profonde entre Ankara et Damas.

Malgré ces obstacles, ce geste d’ouverture d’Erdogan pourrait être annonciateur d’une recomposition géopolitique en cours au Moyen-Orient. Lassés d’un conflit syrien qui s’éternise, de plus en plus d’acteurs régionaux semblent désormais prêts à tourner la page et à réintégrer progressivement le régime de Bachar al-Assad dans le jeu diplomatique. Une tendance à laquelle la Turquie entend manifestement prendre part, en tentant de se poser en faiseur de paix incontournable.

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