C’est un virage à 180 degrés qui est passé presque inaperçu. Le Canada, pays réputé pour avoir l’une des politiques migratoires les plus progressistes et ouvertes au monde, vient d’annoncer par la voix de son Premier ministre Justin Trudeau une volonté de réduire significativement le nombre de travailleurs étrangers temporaires autorisés à entrer sur son territoire. Une déclaration qui détonne avec l’image habituelle du dirigeant libéral, connu pour son accueil enthousiaste des réfugiés syriens dès son arrivée au pouvoir en 2015.
Le Canada face à des difficultés économiques préoccupantes
Mais le Canada traverse une passe difficile sur le plan économique, qui semble pousser le gouvernement à revoir ses priorités en matière d’immigration. Plusieurs indicateurs sont au rouge :
- Le taux de chômage a bondi à 6,6% en août 2024, contre 5,5% un an plus tôt
- La croissance démographique record en 2023, tirée par l’immigration, a exacerbé la crise du logement
- Les services publics sont sous pression avec l’afflux de nouveaux arrivants
Dans ce contexte morose, l’opinion publique semble de plus en plus préoccupée par le rythme soutenu de l’immigration. Selon un sondage de l’institut Metropolis en mars dernier, un Canadien sur deux juge qu’il y a trop de nouveaux arrivants, contre seulement un sur cinq un an auparavant. Un changement de perception majeur.
Des législatives en 2025 qui s’annoncent compliquées pour Justin Trudeau
Le tout sur fond de perspectives électorales assombries pour le parti libéral du Premier ministre. Son rival conservateur Pierre Poilievre le devance nettement dans les sondages à un an du scrutin législatif prévu en octobre 2025. D’où ce qui ressemble à un virage stratégique sur l’épineuse question migratoire.
Pour la première fois, l’immigration devient une question politique au Canada et les mentalités évoluent.
Paul Journet, chroniqueur politique à La Presse de Montréal
Pour autant, il serait réducteur de résumer les difficultés actuelles du Canada au seul enjeu migratoire selon ce spécialiste. Il pointe aussi du doigt :
- Le “marketing politique” privilégié par Justin Trudeau, en décalage avec les réalités vécues par la population
- La flambée du coût de la vie qui pèse sur le pouvoir d’achat des Canadiens
“C’est le moment d’embaucher des Canadiens” martèle Justin Trudeau
Le Premier ministre assume pleinement ce changement de cap, martelant qu’il est temps de donner la priorité aux travailleurs canadiens :
C’est le moment d’embaucher des Canadiens.
Justin Trudeau, Premier ministre du Canada
Reste à voir si ce virage plus restrictif, qui tranche avec des années de politique migratoire très ouverte, suffira à redresser la barre économiquement et électoralement pour le dirigeant libéral. D’autant que certains lui reprochent d’avoir trop tardé à réagir face aux signaux préoccupants.
Vers une remise en cause durable du modèle canadien d’immigration massive ?
Au-delà des enjeux de court terme, c’est bien le modèle canadien reposant sur une immigration importante qui semble aujourd’hui questionné dans le pays. Depuis des décennies, l’arrivée massive de travailleurs étrangers est vue comme un moteur essentiel de la croissance démographique et économique du Canada, permettant de compenser le vieillissement de sa population.
Avec ce coup de frein annoncé par Justin Trudeau, un tournant majeur semble s’amorcer, ouvrant une période d’incertitudes sur la stratégie migratoire de long terme du pays. Le Canada est-il en train de tourner la page de sa politique d’accueil volontariste ? L’avenir nous le dira, mais une chose est sûre : le débat promet d’être animé dans les mois à venir, jusqu’aux élections d’octobre 2025 qui s’annoncent plus que jamais comme un referendum sur la question migratoire.
