Deux ans après le décès tragique de Mahsa Amini, une jeune femme arrêtée par la police des mœurs pour port incorrect du voile, la question du hijab obligatoire continue de diviser profondément la société iranienne. L’élection en juillet dernier du président réformiste Massoud Pezeshkian avait suscité l’espoir d’un assouplissement de cette loi controversée. Mais les récentes déclarations du nouveau chef de l’État soulignent toute la difficulté de tenir cette promesse face aux puissantes oppositions conservatrices.
Une promesse électorale audacieuse
Pendant sa campagne, Massoud Pezeshkian n’avait pas hésité à promettre le retrait de la police des mœurs, chargée de surveiller le respect du code vestimentaire strict imposé aux Iraniennes depuis la révolution islamique de 1979. Une prise de position courageuse dans un pays où le port du voile est encore considéré comme un pilier du régime par les ultraconservateurs.
Lundi, lors de sa première conférence de presse en tant que président, M. Pezeshkian a réitéré cet engagement :
La police des mœurs n’est pas censée affronter les femmes, je veillerai à ce qu’elle ne les dérange pas.
Massoud Pezeshkian, Président de la République islamique d’Iran
Le spectre de Mahsa Amini
Ces propos interviennent presque jour pour jour deux ans après la mort en détention de Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée par la police des mœurs à Téhéran pour “port de vêtements inappropriés”. Ce drame avait déclenché un vaste mouvement de protestation contre le régime, durement réprimé, sur fond de colère contre l’obligation du port du voile.
Pour Shadi Sadr, avocate iranienne des droits humains en exil à Londres, la promesse de Pezeshkian est un pas dans la bonne direction, mais qui ne suffira pas à apaiser la société :
Les Iraniennes ne veulent plus de cette loi rétrograde et humiliante. Elles ont montré qu’elles étaient prêtes à risquer leur vie pour la liberté. Retirer la police des mœurs est un premier pas, mais c’est l’obligation même du hijab qui doit être abolie.
Shadi Sadr, avocate iranienne des droits humains
La résistance du camp conservateur
Malgré la popularité de cette revendication dans la population, abroger la loi sur le voile s’annonce extrêmement compliqué pour le gouvernement réformiste. Les ultraconservateurs, qui contrôlent plusieurs centres de pouvoir comme le conseil des Gardiens de la révolution ou la justice, restent farouchement attachés au hijab obligatoire, qu’ils voient comme un rempart contre l’influence occidentale.
Mohammad Jafar Montazeri, le procureur général d’Iran nommé par le guide suprême Ali Khamenei, a prévenu que la police continuerait d’agir contre les “atteintes à la morale publique”, laissant entendre que le voile resterait obligatoire. Autant de signaux qui présagent d’une féroce résistance du camp conservateur à tout changement.
L’épreuve de force à venir
Pour Thierry Coville, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de l’Iran, le président Pezeshkian joue une partie serrée :
En s’attaquant à la question du voile, Pezeshkian montre qu’il a entendu la rue. Mais il sait aussi qu’il marche sur des œufs. Les conservateurs n’accepteront pas une capitulation sur ce qu’ils considèrent comme un principe religieux non négociable. Le président devra manœuvrer avec habileté pour desserrer l’étau sans provoquer la colère des durs du régime.
Thierry Coville, chercheur et spécialiste de l’Iran à l’Iris
Selon plusieurs observateurs, Massoud Pezeshkian pourrait tenter d’obtenir des concessions a minima, comme un assouplissement des contrôles ou des sanctions, sans remettre en cause frontalement l’obligation du voile. Mais même cette approche graduelle risque de se heurter à une vive opposition des gardiens de l’orthodoxie.
À l’inverse, une inflexion trop tiède pourrait décevoir la jeunesse et les femmes qui attendent des changements rapides et visibles. Le président réformiste se retrouve ainsi pris en tenaille entre la rue qui gronde et les mollahss qui tiennent les rênes du pouvoir.
En quête d’un impossible consensus
Au final, la marge de manœuvre du président Pezeshkian apparaît étroite sur ce dossier inflammable du voile. Toute décision – ou absence de décision – risque de générer de nouvelles tensions. Sa capacité à trouver un point d’équilibre entre réformisme et immobilisme sera déterminante pour la suite de son mandat.
Mais plus largement, l’épineuse question du hijab illustre la profonde fracture qui traverse la société iranienne, entre une jeunesse avide de liberté et un régime arc-bouté sur ses principes fondateurs. Un fossé que même un changement à la tête de l’État ne semble pas en mesure de combler.
Alors que l’Iran commémore les deux ans de la mort de Mahsa Amini, le débat sur le voile obligatoire est plus que jamais au cœur du bras de fer entre réformistes et conservateurs. Et le nouveau président Massoud Pezeshkian se retrouve en première ligne sur ce sujet brûlant, où chaque mot et chaque geste sont scrutés et soupesés. L’avenir du hijab – et peut-être celui de l’Iran – est en jeu.