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L’Étrange Mystère des Explosions de Bipeurs au Liban

Au Liban, des explosions de bipeurs ont secoué le pays, tuant plusieurs membres du Hezbollah. Ces appareils de communication à l'ancienne, encore utilisés par la milice chiite pour échapper à la surveillance israélienne, se sont transformés en bombes de poche. Mais qui est derrière cette attaque insolite aux airs de science-fiction ?

Au Liban, un phénomène aussi étrange qu’inquiétant vient de se produire : plusieurs personnes ont été tuées et des milliers blessées par l’explosion simultanée de bipeurs, ces petits appareils de communication très populaires au siècle dernier. Mais le plus troublant, c’est que toutes les victimes étaient des membres du Hezbollah, la milice chiite pro-iranienne. Que se cache-t-il derrière cette attaque insolite aux airs de science-fiction ?

Le retour inattendu des bipeurs

Avant l’avènement des téléphones portables, les bipeurs étaient le nec plus ultra de la communication mobile. Apparus à la fin des années 70, ces boîtiers permettaient de recevoir des messages courts par ondes radio. Il fallait ensuite trouver un téléphone fixe pour rappeler son correspondant. Avec le temps, les bipeurs ont été capables d’afficher directement de courts textos. Mais ils sont restés des outils de communication passifs : impossible d’envoyer des messages, seulement d’en recevoir.

Ringardisés par les portables, les bipeurs ont quasiment disparu au début des années 2000. Seuls quelques irréductibles continuent de les utiliser, notamment dans le milieu médical. Les bipeurs permettent aux soignants d’être joints efficacement en cas d’urgence, sans être distraits par le flot d’informations d’un smartphone. Et contrairement aux réseaux mobiles, les bipeurs fonctionnent même quand les relais sont saturés. Le NHS britannique en comptait encore 130 000 en circulation récemment, avant de renoncer à cette technologie après le Covid.

Communiquer en toute discrétion

Mais il existe une autre catégorie d’accros aux bipeurs : les membres du Hezbollah. La milice chiite libanaise s’est récemment tournée vers ce mode de communication vintage. L’objectif : éviter d’être repérés par les Israéliens, qui traquent les combattants du Hezbollah grâce à la localisation de leurs téléphones portables.

Avec certaines avancées technologiques, vous devez revenir aux vieilles méthodes. Téléphones, communications en personne… Toute méthode qui vous permet de contourner la technologie.

Qassem Kassir, analyste libanais proche du Hezbollah

En optant pour les bipeurs, le Hezbollah espérait communiquer plus discrètement. Ces appareils sont en effet moins facilement traçables que les portables. Mais ils présentent une autre faille : les messages qu’ils reçoivent peuvent aisément être interceptés. Un point faible que les ennemis du Hezbollah semblent avoir exploité pour transformer les bipeurs en armes…

Des bombes de poche

Le 17 septembre, en quelques secondes, les bipeurs de nombreux membres du Hezbollah ont explosé de façon coordonnée. Un mode opératoire pour le moins inhabituel, dont les détails restent à éclaircir. Selon des sources citées par Reuters, les appareils impliqués étaient flambant neufs, récemment acquis par la milice. L’hypothèse d’un piratage à distance, permettant de déclencher l’explosion des batteries, est envisagée.

Si les bipeurs semblaient a priori moins vulnérables aux attaques que des smartphones, ces événements montrent qu’aucun appareil n’est totalement à l’abri. Derrière la apparente désuétude de ces outils se cache peut-être une nouvelle forme de guerre technologique. Une chose est sûre : même la technologie la plus basique peut se transformer en arme redoutable entre des mains malveillantes.

Qui est derrière cette attaque ?

Si l’attaque n’a pas été revendiquée, tous les regards se tournent vers Israël. L’État hébreu considère le Hezbollah comme une organisation terroriste et les deux ennemis s’affrontent régulièrement, par milices interposées ou via des opérations secrètes. Israël a récemment intensifié ses raids contre les intérêts iraniens en Syrie et au Liban. Le Hezbollah a quant à lui tiré des roquettes sur le territoire israélien en août dernier.

Mais Israël dément toute implication dans l’attaque aux bipeurs piégés. Certains observateurs évoquent la piste d’un règlement de comptes en interne au Hezbollah, ou l’action d’un autre service de renseignement cherchant à destabiliser le parti chiite. L’Iran et l’Arabie saoudite, qui s’affrontent par procuration au Moyen-Orient, sont aussi montrés du doigt. Tout comme les États-Unis, même s’ils affirment avoir été pris de court.

Nous n’avons aucune information sur l’origine de ces explosions et nous ne spéculons sur aucun potentiel coupable.

Ned Price, porte-parole du département d’État américain

Une chose est sûre : cet événement risque d’aggraver les tensions dans une région déjà proche du point d’ébullition. Le Hezbollah a promis de riposter avec force, laissant craindre un nouveau cycle de violences. Les regards sont désormais braqués sur la réaction de l’Iran, principal soutien de la milice, mais aussi sur l’attitude des États-Unis et d’Israël.

En attendant d’en savoir plus, une question demeure : les bipeurs du Hezbollah étaient-ils une bombe à retardement depuis le début ou ont-ils été piratés a posteriori ? Quoi qu’il en soit, cette attaque prouve que la guerre prend un nouveau visage à l’heure des technologies de l’information. Et que même les outils les plus archaïques peuvent devenir des armes high-tech entre les mains d’acteurs malveillants, étatiques ou non.

Un nouveau champ de bataille

Au-delà de son caractère spectaculaire, l’affaire des bipeurs explosifs du Hezbollah illustre une tendance de fond. La guerre se joue de plus en plus dans le cyberespace et vise les technologies de communication. Les exemples ne manquent pas ces dernières années :

  • En 2010, le virus informatique Stuxnet, attribué à Israël et aux États-Unis, a saboté des centrifugeuses dans des centrales nucléaires iraniennes.
  • En 2012, le malware Flame a espionné pendant des années des ordinateurs au Moyen-Orient, en particulier en Iran, sans être détecté.
  • En 2016, le groupe de hackers Shadow Brokers a révélé des outils d’espionnage appartenant à la NSA, mettant en lumière l’étendue de la surveillance américaine.

Bref, les champs de bataille traditionnels ont désormais un pendant numérique. Les États mais aussi des acteurs non-étatiques y déploient virus, chevaux de Troie ou logiciels espions pour infiltrer et saboter les systèmes ennemis. Dans cette guerre de l’ombre, tout appareil communiquant, du smartphone aux objets connectés en passant par les bipeurs, peut devenir une arme ou une cible.

L’affaire des bipeurs piégés montre que mêmes les technologies les plus basiques ne sont pas à l’abri. Faut-il pour autant renoncer à toute communication électronique ? Certains, comme le Hezbollah, semblent tentés par un retour aux méthodes « à l’ancienne » comme le face-à-face ou les bons vieux téléphones fixes. Mais difficile d’échapper totalement au numérique au 21e siècle.

La meilleure parade reste encore d’avoir une longueur d’avance. De développer des outils de communication sécurisés, d’améliorer le chiffrement des données, de blinder les pare-feu. Mais aussi de sensibiliser les utilisateurs aux bonnes pratiques, du soldat au chef d’entreprise en passant par monsieur tout-le-monde. Car si la technologie évolue à vitesse grand V, le facteur humain reste souvent le maillon faible de la chaîne.

En attendant, l’enquête sur l’attaque aux bipeurs se poursuit au Liban. Le Hezbollah promet de faire toute la lumière sur cette affaire. Et de se venger, d’une manière ou d’une autre. Preuve que même avec des outils d’un autre âge, cette milice conserve une capacité de nuisance bien réelle. La région retient son souffle, espérant que ce mystérieux épisode ne soit pas le détonateur d’un nouveau conflit ouvert. Une crainte hélas fondée au regard de l’histoire récente du Moyen-Orient, où un incident en apparence isolé peut vite dégénérer en guerre totale.

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