C’est un vent de panique qui souffle sur les vignobles charentais. Pour la première fois depuis 1998, les producteurs de cognac sont descendus dans la rue pour manifester contre la menace de surtaxes chinoises sur les eaux-de-vie européennes. Un bras de fer diplomatique et commercial qui fait trembler toute une filière, fleuron du savoir-faire français.
La Chine brandit la menace de lourdes taxes
Tout a commencé en janvier dernier, lorsque la Chine a lancé une enquête sur les eaux-de-vie à base de vin importées de l’Union européenne. Une riposte à une enquête similaire de Bruxelles sur les subventions chinoises aux voitures électriques. Pékin a rapidement brandi la menace de droits de douane additionnels pouvant atteindre 35% en moyenne sur les “brandys” européens, dont le cognac représente près de 95%.
Pour les maisons de négoce charentaises, c’est la douche froide. La Chine absorbe un quart des exportations de cognac en valeur et représente jusqu’à 60% du chiffre d’affaires de certains acteurs. Des taxes supplémentaires de cette ampleur risquent de faire s’envoler les prix et de réduire drastiquement les ventes sur ce marché stratégique.
Un engrenage infernal
Les professionnels du cognac dénoncent un engrenage infernal dont ils sont victimes sans en être la cause. Ils reprochent aux autorités françaises et européennes de les avoir sacrifiés sur l’autel du bras de fer avec la Chine, sans tenir compte de leur poids économique et de leur rôle dans le rayonnement de la France à l’international.
Depuis un an déjà, nous alertons sur ce risque et sur la nécessité de stopper cet engrenage. Nous n’avons pas été écoutés.
– Un porte-parole des viticulteurs
La filière se mobilise
Face à cette menace existentielle, c’est toute la filière du cognac qui se mobilise. Près de 800 personnes, accompagnées d’une centaine de tracteurs, ont manifesté devant la sous-préfecture de Cognac, à l’appel de l’Union générale des viticulteurs pour l’AOC cognac (UGVC).
Leur revendication est claire : ils appellent l’Union européenne à surseoir à sa position sur le dossier des véhicules électriques, attendue le 25 septembre. Une décision qui scellerait le sort des taxes chinoises sur le cognac.
On n’a pas de porte de secours. Si l’Europe ne nous suit pas, on est mort.
– Un membre du syndicat des Jeunes Agriculteurs en Charente
Une filière fragilisée
Au-delà de la menace chinoise, c’est tout un écosystème qui est fragilisé. L’appellation cognac regroupe 4 400 exploitations, 120 bouilleurs de profession, 270 négociants. Elle représente 15 000 emplois directs et 70 000 indirects, de la tonnellerie au transport.
Et la filière sort déjà affaiblie de plusieurs années fastes, avec une chute des ventes de 22% en volume en 2023. Les surfaces de vignes autorisées pour les nouvelles plantations ont été drastiquement réduites. De quoi nourrir l’inquiétude des professionnels qui redoutent des licenciements massifs si les taxes chinoises venaient à être appliquées.
L’avenir du cognac en jeu
Au-delà du cognac, c’est tout le modèle des indications géographiques qui est remis en cause par ce bras de fer commercial. D’autres filières, comme l’armagnac, s’inquiètent de devenir à leur tour des variables d’ajustement dans les tensions géopolitiques.
L’enjeu est de taille pour le cognac, fleuron du patrimoine français. Produit d’exception, fruit d’un savoir-faire séculaire, il incarne l’art de vivre à la française dans le monde entier. Mais face aux géants chinois et américains, les petits producteurs charentais font figure de David contre Goliath.
La balle est désormais dans le camp des autorités européennes. De leur décision dépendra l’avenir d’une filière d’excellence, prise en otage dans un conflit qui la dépasse. Les viticulteurs charentais espèrent que leur cri d’alarme sera entendu. Car derrière chaque bouteille de cognac, c’est tout un pan de l’identité française qui est en jeu.