En ces temps de commémoration des 80 ans de la Libération, il est une histoire méconnue qui mérite d’être contée. Celle d’un soldat allemand, Heinz Stahlschmidt, dont l’acte de bravoure changea à jamais le destin de Bordeaux. Retour sur un héroïsme de l’ombre qui épargna la cité girondine des flammes de la guerre.
Un choix cornélien aux lourdes conséquences
Août 1944. La fin de la guerre approche et les troupes allemandes s’apprêtent à quitter Bordeaux. Mais Berlin transmet un ordre funeste : détruire les installations portuaires françaises avant l’évacuation. À 24 ans, le sous-officier de la marine Heinz Stahlschmidt se voit confier la mission de dynamiter les quais. Un travail de sape déjà bien avancé.
Face à ce qu’il considère comme une destruction inutile et barbare, Stahlschmidt décide de suivre sa conscience. Il tente de contacter la Résistance pour que le bunker renfermant les explosifs soit détruit, en vain. Acculé, il n’a d’autre choix que de le faire sauter lui-même, avant de se cacher pour échapper à la fureur de ses compatriotes jusqu’à leur départ.
Du point de vue allemand, Stahlschmidt n’en était pas moins devenu traître et fut considéré comme tel encore longtemps après la guerre.
– Alain Ruiz, historien
3000 vies épargnées, des dégâts incommensurables évités
Grâce à son action, Bordeaux évite une tragédie. Selon les estimations, près de 3000 personnes auraient pu perdre la vie si les quais avaient explosé. Sans parler des dommages au patrimoine unique de la ville. Le geste de Stahlschmidt permet de préserver ce joyau architectural.
Mais pour ce soldat modèle, décoré de la croix de fer, c’est le début d’une vie d’exil et de souffrances. Contraint de rester à Bordeaux après la Libération, il prend la nationalité française en 1947, devenant Henri Salmide. Pour autant, il ne trouve pas dans sa nouvelle patrie la reconnaissance qu’il espérait.
50 ans dans l’ombre avant la lumière
Son histoire sombre dans l’oubli. Il faut attendre un article de Sud Ouest en 1993, soit près de 50 ans, pour que la vérité éclate au grand jour. Le maire de l’époque, Jacques Chaban-Delmas, lui remet alors la médaille de la ville. Puis viendront la Légion d’honneur en 2000 et le droit de revenir se recueillir sur la tombe de ses parents en Allemagne après 61 ans d’attente.
Heinz Stahlschmidt s’éteint en 2010 à Bordeaux, ville à laquelle il avait lié son destin. Il repose désormais au cimetière protestant sous les plis du drapeau tricolore, témoin muet d’une vie bouleversée par un choix courageux, au nom de valeurs universelles. Un exemple qui, en ces temps troublés, nous rappelle que l’héroïsme et l’humanité transcendent les frontières et les conflits.