Le départ soudain de Minouche Shafik, présidente de la prestigieuse université Columbia à New York, ne passe pas inaperçu. Mercredi 14 août, elle a annoncé sa démission en invoquant la « période de crise » traversée par l’établissement, devenu l’épicentre de manifestations étudiantes contre la guerre à Gaza. Un séisme dans le monde académique américain qui pose une question cruciale : quel rôle doivent jouer les universités face aux enjeux politiques et sociétaux brûlants de notre époque ?
Columbia, un campus sous haute tension
Depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas en octobre dernier, l’université Columbia est le théâtre de vives tensions. Étudiants et militants pro-palestiniens se sont mobilisés massivement, organisant sit-in et rassemblements sur le campus. Face à l’ampleur du mouvement, la direction a fait appel à la police anti-émeute pour déloger les protestataires le 30 avril, une décision qui a suscité une vive polémique.
Prise entre deux feux, Minouche Shafik a été critiquée de toutes parts. D’un côté, on lui reproche de ne pas avoir agi assez fermement contre l’antisémitisme qui gangrènerait le campus. De l’autre, les associations étudiantes dénoncent une répression disproportionnée et une atteinte à leur liberté d’expression. Un dilemme insoluble qui a poussé la présidente à jeter l’éponge.
« Au cours de l’été, j’ai pu réfléchir et j’ai décidé que ma démission permettrait à Columbia de mieux faire face aux défis à venir »
Minouche Shafik, ex-présidente de l’université Columbia
Le casse-tête des présidents d’université
Le cas de Columbia est loin d’être isolé. Aux États-Unis, de plus en plus de campus sont agités par des mouvements étudiants engagés, prenant position sur des enjeux sociétaux et géopolitiques majeurs. Black Lives Matter, MeToo, conflit israélo-palestinien… Autant de sujets explosifs qui mettent les présidents d’université dans une position délicate.
Comment concilier la mission d’ouverture et de pluralisme des universités avec la nécessité de maintenir un climat apaisé sur les campus ? Faut-il laisser les étudiants s’exprimer librement au risque de voir certaines dérives, ou au contraire réprimer fermement toute forme de militantisme ? Un équilibre périlleux, comme en témoignent les démissions en cascade de plusieurs présidentes d’établissements prestigieux ces derniers mois (Pennsylvanie, Harvard, Columbia).
Universités : lieux de savoir ou arènes politiques ?
Au-delà des tensions sur les campus, c’est le rôle même des universités qui est questionné. Historiquement lieux de transmission des connaissances et de formation des esprits, doivent-elles devenir des espaces de débat et d’engagement politique ? Pour certains, c’est le prolongement naturel de leur mission d’éveil des consciences et de la pensée critique. D’autres y voient une dérive dangereuse, éloignant ces institutions de leur vocation première.
Quoi qu’il en soit, les universités ne peuvent plus faire l’autruche. À l’heure des réseaux sociaux et de l’engagement de la jeunesse, elles sont plongées, qu’elles le veuillent ou non, au cœur des grands débats de société. Reste à trouver le bon positionnement, entre neutralité bienveillante et prise de position assumée. Un sacré défi pour les présidents d’université, condamnés à jouer les équilibristes sur le fil du rasoir. La démission de Minouche Shafik en est le symbole éclatant.