Depuis le 6 août 2024, une offensive militaire ukrainienne d’envergure se déroule dans l’oblast de Koursk, en territoire russe. Cette incursion audacieuse, qui a déjà permis aux forces de Kiev de pénétrer sur plus de 30 kilomètres, soulève de nombreuses questions quant à l’évolution du conflit russo-ukrainien. S’agit-il d’un tournant décisif dans cette guerre qui dure depuis maintenant plus de deux ans ?
Une offensive surprise aux multiples enjeux
L’opération militaire lancée par l’Ukraine dans la région de Koursk a pris de court les autorités russes. Moscou a dû procéder à l’évacuation en urgence de quelque 121 000 civils vers la région de la capitale. Les troupes ukrainiennes ont même réussi à faire des dizaines de prisonniers parmi les soldats russes et semblent décidées à fortifier le territoire conquis, peut-être en vue de futurs échanges.
Pour le général Syrsky, chef d’état-major de l’armée ukrainienne, cette offensive revêt une dimension stratégique majeure. En pénétrant ainsi en territoire russe, Kiev envoie un message fort à plusieurs destinataires :
- Aux Russes, pour leur signifier que la guerre peut aussi se dérouler chez eux
- Au peuple ukrainien, pour maintenir le moral des troupes et de la population
- Aux alliés occidentaux, pour démontrer la détermination et les capacités de l’armée ukrainienne
La réaction russe : entre colère et embarras
Du côté russe, le président Vladimir Poutine a vigoureusement condamné ce qu’il qualifie de “provocation” ukrainienne. La porte-parole de la diplomatie russe a pour sa part prévenu que ces “crimes” ne resteraient pas impunis. Mais au-delà de cette rhétorique guerrière, le Kremlin semble quelque peu déstabilisé par cette incursion en profondeur sur son territoire.
Pour les experts militaires, le fait que les Ukrainiens aient réussi à progresser autant en territoire russe révèle certaines failles dans le dispositif défensif de Moscou. Une situation embarrassante pour le régime de Poutine.
The Economist
Vers un tournant dans le conflit ?
Beaucoup s’interrogent désormais sur les conséquences de cette offensive sur la suite de la guerre. Si l’Ukraine parvenait à contrôler durablement ne serait-ce qu’une portion du territoire russe, aussi symbolique soit-elle, cela renforcerait considérablement sa position en cas de futures négociations de paix.
Mais attention toutefois à ne pas crier victoire trop vite. Le conflit est encore loin d’être terminé et nul ne peut prédire avec certitude l’issue de cette offensive. Une chose est sûre cependant : le soutien indéfectible des alliés occidentaux sera plus que jamais crucial pour permettre à l’Ukraine de tenir sur la durée face à la puissance russe.
Une guerre d’usure qui s’enlise
Plus de deux ans après le début de l’invasion russe, force est de constater que ce conflit s’apparente de plus en plus à une guerre d’usure. Malgré des pertes importantes des deux côtés, aucun des belligérants ne semble en mesure de l’emporter de manière décisive à court terme.
L’Ukraine, grâce au soutien militaire et financier de l’Occident, a certes réussi à contenir l’avancée russe et même à regagner du terrain. Mais le Kremlin, en dépit des sanctions économiques et de son isolement croissant sur la scène internationale, ne donne aucun signe de vouloir renoncer à ses objectifs.
Dans ce contexte, l’offensive de Koursk apparaît comme une tentative audacieuse de Kiev pour tenter de débloquer la situation. Mais il est encore trop tôt pour dire si elle sera de nature à faire basculer le rapport de forces en faveur de l’Ukraine.
Institut pour l’étude de la guerre (ISW)
Les défis de la reconstruction
Au-delà des enjeux militaires immédiats, l’Ukraine doit aussi se préparer aux immenses défis de l’après-guerre. Les destructions causées par le conflit sont considérables et le coût de la reconstruction est estimé à plusieurs centaines de milliards d’euros.
Pour relever ce défi titanesque, Kiev aura plus que jamais besoin de la solidarité internationale. Les pays occidentaux ont d’ores et déjà promis d’être au rendez-vous, mais il faudra aussi mobiliser les institutions financières comme la Banque mondiale ou le FMI.
La tâche s’annonce d’autant plus ardue que l’Ukraine devra mener de front la reconstruction de ses infrastructures et la modernisation de son économie, tout en poursuivant les réformes nécessaires pour se rapprocher des standards européens. Un véritable parcours du combattant qui demandera des efforts considérables sur le long terme.
Quel avenir pour les relations russo-ukrainiennes ?
Enfin, l’offensive de Koursk pose la question de l’avenir des relations entre la Russie et l’Ukraine une fois la paix revenue. Après un conflit aussi long et dévastateur, marqué par des exactions et des crimes de guerre, il sera extrêmement difficile de normaliser les rapports entre les deux pays.
Même si Moscou et Kiev finissent par s’accorder sur un cessez-le-feu et un traité de paix, les plaies resteront béantes pendant de longues années. La méfiance et la haine accumulées des deux côtés rendront la réconciliation très compliquée, d’autant que la Russie ne semble pas prête à assumer ses responsabilités.
On peut craindre que ce conflit ne laisse des traces indélébiles et compromette pendant très longtemps toute perspective de coopération régionale entre la Russie et ses voisins post-soviétiques. C’est toute la stabilité de la région qui risque d’en pâtir.
Tatiana Kastouéva-Jean, chercheuse à l’Ifri
En attendant, l’offensive ukrainienne à Koursk montre que le conflit est encore loin d’être terminé. Cette guerre impitoyable continue de broyer des vies et de dévaster des territoires, sans qu’une issue négociée ne se profile pour l’instant. Un défi majeur pour la communauté internationale qui doit absolument rester mobilisée en faveur de la paix et de la souveraineté de l’Ukraine.