Les propos de l’historien Patrick Boucheron qualifiant les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo “d’assassinats politiques” suscitent une vive polémique. Dans un entretien accordé au site Le Grand Continent, le professeur au Collège de France a employé cette formule qui en a choqué plus d’un, à commencer par l’ancien directeur du journal satirique.
Un choix sémantique lourd de sens
Pour Philippe Val, ex-patron de Charlie Hebdo, parler “d’assassinats politiques” plutôt que “d’attentats islamistes” relève d’un parti pris idéologique troublant. Dans les colonnes du Figaro, il s’indigne :
Cette prise de parole donne une mauvaise image du Collège de France. Ne pas dire qu’il s’agit d’un attentat islamiste, mais plutôt d’un « assassinat politique », rejoint précisément le discours de Rima Hassan, ou de La France insoumise en général, dont une partie des membres refuse de prononcer l’expression de « mouvement terroriste » pour qualifier le Hamas.
– Philippe Val, ancien directeur de Charlie Hebdo
Pour lui, le choix des mots de Patrick Boucheron est loin d’être anodin. Il s’agirait d’une façon subtile de minimiser la gravité des attaques djihadistes en les réduisant à de simples actes politiques. Une rhétorique qui ferait écho à celle de certains mouvements radicaux.
L’historien impliqué dans la cérémonie des JO de Paris
La polémique prend une dimension supplémentaire du fait de l’implication de Patrick Boucheron dans la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024. L’historien, qui prône le “métissage planétaire”, a en effet participé à l’écriture du spectacle. Un show qui sera, selon lui, “le contraire d’une histoire virile, héroïsée et providentielle”.
Cette vision très engagée de l’Histoire fait craindre à certains observateurs des dérives idéologiques dans la mise en scène de l’identité française lors de cet événement planétaire. Les propos de Patrick Boucheron sur les attentats de 2015 ne font qu’ajouter de l’huile sur le feu.
Entre liberté d’expression et responsabilité
Au cœur de ce débat houleux se joue la question épineuse de la liberté d’expression et de ses limites. Si Patrick Boucheron est libre de ses analyses en tant qu’intellectuel, beaucoup lui reprochent un manque de discernement au vu de ses responsabilités.
Qualifier “d’assassinats politiques” les attaques contre un journal ayant payé au prix du sang son insolence, n’est-ce pas une façon détournée de leur trouver des circonstances atténuantes ? C’est en tout cas ce que dénoncent les défenseurs de Charlie Hebdo.
Des attentats qui ont marqué la France
Rappelons que les attentats de janvier 2015, revendiqués par Al-Qaïda dans la péninsule arabique, avaient visé la rédaction de Charlie Hebdo, des policiers et un supermarché casher, faisant 17 morts et semant l’effroi dans tout le pays. Un traumatisme national qui avait suscité un immense élan de solidarité, symbolisé par le slogan “Je suis Charlie”.
Plus de sept ans après, les plaies sont loin d’être refermées. Et la moindre parole publique sur ces événements tragiques est scrutée, soupesée, décortiquée. Patrick Boucheron en fait aujourd’hui l’amère expérience, lui qui se retrouve au cœur d’une tempête médiatique et politique.
Un nouveau pavé dans la mare
Cette polémique illustre une fois de plus les profondes fractures qui traversent la société française sur les questions identitaires, religieuses et mémorielles. Chaque camp voit dans les propos de l’autre la confirmation de ses pires craintes.
D’un côté, les partisans d’une laïcité intransigeante et les pourfendeurs de l’islamisme y voient un nouvel exemple de complaisance envers le fondamentalisme. De l’autre, les tenants d’une vision plus ouverte et plurielle redoutent une stigmatisation des musulmans.
Une chose est sûre : en qualifiant les attentats contre Charlie Hebdo “d’assassinats politiques”, Patrick Boucheron a jeté un pavé dans la mare. Nul doute que ses propos continueront à faire des remous, d’autant plus à l’approche des JO de Paris et de leur cérémonie d’ouverture dont il est l’un des artisans.
Un spectacle qui sera scruté à la loupe, et qui cristallisera inévitablement les passions françaises autour des questions d’identité et de mémoire. Patrick Boucheron en est pleinement conscient. Reste à savoir s’il assumera jusqu’au bout ses prises de position, au risque de s’attirer les foudres d’une partie de l’opinion. Le débat ne fait sans doute que commencer.