Après le drame qui a frappé la ville de Southport lundi dernier, où trois fillettes ont perdu la vie dans une attaque au couteau, une vague de violence a déferlé sur plusieurs villes anglaises. Mais au-delà de l’émotion légitime suscitée par ce crime effroyable, certains groupes d’extrême droite tentent de surfer sur la colère pour attiser les tensions communautaires et gagner en influence. Un jeu dangereux qui menace la cohésion de la société britannique.
L’embrasement après le drame
Tout a commencé lundi à Southport, paisible station balnéaire du Merseyside, quand un adolescent de 17 ans a mortellement poignardé trois écolières avant d’être interpellé. Très vite, l’identité du suspect, Axel Muganwa Rudakubana, jeune britannique d’origine rwandaise, a fuité sur les réseaux sociaux, déclenchant un déferlement de haine et de rumeurs.
Dès le lendemain, après un hommage sobre aux victimes, des violences ont éclaté à Southport même, menées par des membres présumés de l’English Defence League (EDL), mouvement d’extrême droite ouvertement xénophobe. Voitures brûlées, dégradations sur une mosquée, affrontements avec la police : une cinquantaine d’agents ont été blessés dans des scènes de chaos. Et le mouvement a rapidement gagné d’autres villes comme Hartlepool ou même Londres.
Instrumentalisation et désinformation
Comment en est-on arrivé là ? Pour Patrick Hurley, député de Southport, ces débordements sont le fruit d’une “propagande et de mensonges” distillés sur les réseaux sociaux pour enflammer la situation et “désigner des boucs émissaires”. De fait, avant même que la police ne communique des détails, de nombreux comptes liés à la mouvance d’extrême droite se sont emparés du drame, dépeignant le suspect comme un “migrant”, alimentant des théories complotistes sur le “grand remplacement”.
“Ces groupes ont instrumentalisé le chagrin et la colère légitimes pour répandre leur venin idéologique et fracturer davantage notre société.”
Patrick Hurley, député de Southport
Un climat délétère
Le crime de Southport a agi comme un révélateur des tensions qui traversent le Royaume-Uni. Sur fond de crise économique et sociale post-Brexit, de nombreux Britanniques se sentent déclassés et nourrissent une défiance envers les élites. Un terreau fertile pour les discours populistes martelant que l’immigration et le multiculturalisme sont la source de tous les maux.
L’EDL et d’autres groupuscules d’extrême droite, autrefois ultra-marginaux, gagnent en visibilité en surfant sur ces peurs. Ils dénoncent pêle-mêle “l’islamisation”, “l’invasion migratoire”, la “criminalité étrangère”, agitant le spectre d’un “effondrement de la civilisation occidentale”. Un discours anxiogène, truffé d’approximations voire de contre-vérités, mais qui séduit une frange croissante de la population.
La réponse des autorités en question
Face à cette poussée de fièvre, la réponse des autorités apparaît pour l’instant timorée. Le Premier ministre Keir Starmer a bien rencontré des représentants des forces de l’ordre jeudi, mais peine à poser des actes forts. Certains dans son camp l’appellent à muscler son discours sur les questions régaliennes, pour ne pas laisser le monopole de la sécurité aux conservateurs et à l’extrême droite.
De l’autre côté de l’échiquier, ces événements sont un boulevard pour les partisans d’une ligne dure sur l’immigration. Le sulfureux Nigel Farage, chantre du Brexit, a ainsi réclamé un “moratoire sur toute nouvelle arrivée de migrants jusqu’à ce que nous reprenions le contrôle”. Des propos incendiaires, qui font craindre une surenchère politique dangereuse.
Pour une réponse globale
Au-delà de la fermeté face aux casseurs, de nombreuses voix appellent à s’attaquer aux racines de la colère qui mine la société britannique. Inégalités béantes, communautés qui se font face, perte de repères : le terreau est là pour toutes les dérives.
“Nous devons recréer de l’unité nationale, donner à chacun des perspectives d’avenir et des raisons d’espérer plutôt que de céder à la peur de l’autre. C’est un immense défi qui attend toute la classe politique.”
Sayeeda Warsi, ex-conseillère gouvernementale pour la cohésion sociale
Un défi immense en effet, qui passera par un travail de fond sur l’emploi, l’éducation, le logement dans les quartiers déshérités, loin des formules magiques martelées par les populistes. Faute de quoi, préviennent de nombreux experts, le Royaume-Uni pourrait voir ses fractures béantes se transformer en gouffres.