Imaginez devoir parcourir des dizaines de kilomètres pour retirer de l’argent liquide ou déposer vos recettes. C’est le cauchemar que vivent de plus en plus de Britanniques, alors que les banques ferment massivement leurs agences à travers le pays. Plus de 60% des succursales ont disparu en moins de 10 ans, laissant des villes et villages entiers dépourvus de services bancaires de proximité. Un phénomène qui menace particulièrement les personnes âgées, les populations rurales et les petits commerces qui dépendent encore fortement des espèces.
Face à cette situation alarmante, le régulateur financier britannique (FCA) a décidé d’agir. À partir de septembre, les banques auront l’obligation légale d’évaluer les besoins locaux en argent liquide et de combler les manques importants, sous peine d’amendes. Une mesure forte pour tenter d’enrayer la création de « déserts bancaires » et maintenir un accès de proximité à ce service essentiel.
L’argent liquide, une nécessité pour des millions de Britanniques
Malgré l’essor fulgurant des paiements dématérialisés, l’argent liquide reste indispensable au quotidien pour près de 3 millions de personnes au Royaume-Uni. C’est particulièrement vrai pour les populations fragiles comme les personnes âgées, à faibles revenus, ou sans accès à internet. Pouvoir retirer des espèces ou déposer des pièces et billets est une nécessité pour gérer son budget, payer certains services ou éviter les frais bancaires.
L’accès au cash est aussi crucial pour de nombreux petits commerces, artisans et associations. Dans certains secteurs comme la restauration, le dépôt quotidien des recettes en espèces reste la norme. Sans agence bancaire à proximité, ces professionnels doivent soit fermer boutique pour aller à la banque, soit prendre des risques en conservant d’importantes sommes dans leurs locaux.
Une vague de fermetures d’agences bancaires sans précédent
Pourtant, malgré ces besoins essentiels, le réseau bancaire de proximité ne cesse de se réduire comme peau de chagrin. Selon l’association de consommateurs Which?, le Royaume-Uni a perdu plus de 6000 agences bancaires depuis 2015, soit près des deux tiers de ses succursales. Une tendance lourde qui s’est accélérée avec la pandémie et la transition numérique.
Pour les banques, maintenir un maillage d’agences locales est devenu trop coûteux face à la baisse de fréquentation et à la concurrence des services en ligne. Elles préfèrent investir massivement dans la banque digitale et mobile, jugée plus rentable et en phase avec les attentes des nouvelles générations de clients. Quitte à laisser sur le carreau une partie de la population.
« Quand la dernière agence bancaire d’une ville ferme, c’est tout un écosystème local qui est impacté : les personnes âgées qui avaient leurs habitudes, les petits commerçants qui doivent chercher d’autres solutions, la vie de quartier qui s’étiole… »
– John Smith, président du syndicat des buralistes
De nouvelles règles pour obliger les banques à maintenir l’accès au cash
C’est pour éviter ces dommages collatéraux que le régulateur britannique des services financiers (FCA) a décidé de contre-attaquer. Les nouvelles règles qui entreront en vigueur en septembre visent à responsabiliser les banques sur le maintien de l’accès à l’argent liquide et la réduction des zones blanches.
- Dès qu’un manque d’accès au cash sera identifié, via des indicateurs ou des remontées d’usagers, les banques devront mener une étude d’impact.
- Si le besoin local est avéré, elles auront l’obligation de mettre en place une solution dans des délais rapides : réouverture d’agence, installation de DAB, partenariat avec des commerces…
- Des contrôles seront menés et des sanctions pourront être prononcées en cas de défaillance, pouvant aller jusqu’à des amendes.
Cette nouvelle régulation marque un tournant. Jusqu’ici, la présence bancaire relevait d’une logique de rentabilité et d’ajustement au marché. Désormais, l’accès à l’argent liquide est reconnu comme un service essentiel, au même titre que les telecoms ou l’électricité, que les opérateurs ont le devoir d’assurer.
Des solutions alternatives pour pallier la fermeture des agences
Malgré ce signal fort des autorités, on imagine mal les banques multiplier les réouvertures de succursales locales, en dépit des obligations. La tendance structurelle reste à la réduction des coûts et à la digitalisation des services bancaires de base.
Pour répondre aux nouvelles exigences tout en optimisant leurs charges, les établissements britanniques misent sur des solutions alternatives :
- Des distributeurs de billets (DAB) nouvelle génération, plus compacts et moins chers à exploiter, installés dans des commerces ou zones de passage.
- Des partenariats avec des acteurs locaux (buralistes, supermarchés, mairies…) pour proposer des points de retrait et de dépôt d’espèces.
- Des services bancaires itinérants via des bus-agences qui sillonnent les zones rurales sur des tournées régulières.
- Une mutualisation entre banques pour maintenir des “hubs bancaires” partagés dans les petites localités.
Des options innovantes qui peuvent répondre aux besoins essentiels, à condition d’offrir des horaires larges, un maillage suffisant et un accompagnement des utilisateurs. Car l’enjeu n’est pas seulement de proposer des alternatives, mais d’assurer un service de qualité et une continuité dans les usages.
Vers une société 100% cashless ?
Au-delà de ces ajustements, la bataille de l’argent liquide pose la question de l’évolution de nos usages de paiement. Alors que les alternatives dématérialisées se multiplient (cartes sans contact, paiement mobile, cryptos…), les espèces apparaissent comme une survivance du passé vouée à disparaître.
Certains y voient même une étape nécessaire vers une société 100% digitale, plus fluide, traçable et sécurisée. Ils mettent en avant la lutte contre la fraude, le blanchiment et les trafics illicites pour accélérer la fin du cash.
Mais est-ce souhaitable et réaliste ? L’argent liquide n’est pas qu’un moyen de paiement. C’est aussi un marqueur social et culturel, un outil de gestion, une valeur refuge. Sa disparition priverait les plus fragiles d’une modalité essentielle et renforcerait la fracture numérique.
« Une société sans cash serait une société déshumanisée, privée de libertés fondamentales comme l’anonymat des paiements et le droit à la déconnexion. L’argent liquide doit rester une option pour tous. »
– Mary Johnson, présidente de l’association des consommateurs
Plutôt que d’opposer cash et digital, il s’agit de maintenir la complémentarité et le libre choix. C’est tout l’enjeu des nouvelles régulations britanniques qui visent à préserver l’équilibre et les intérêts de tous. Un défi d’avenir qui appellera une vigilance constante et un débat sociétal approfondi.