La dissolution précipitée de l’Assemblée nationale a agi comme un révélateur brutal de la paralysie qui ronge depuis longtemps la vie politique française. Cette décision aux airs de coup de poker a mis en lumière l’incapacité du système à former des majorités stables et à proposer un véritable débat d’idées. Les racines de ce mal démocratique sont profondes et méritent qu’on s’y attarde.
Un évidement progressif du débat politique
Comme le souligne avec justesse le philosophe Pierre Manent, la vie politique hexagonale s’est peu à peu vidée de sa substance au fil des décennies. La succession de cohabitations et d’alternances de moins en moins tranchées entre la droite et la gauche de gouvernement a fini par brouiller les repères idéologiques. Chaque camp, oublieux de ses propres principes, s’est enfermé dans une gestion technocratique et court-termiste.
Ce que nous avions volontiers salué comme une heureuse pacification de la vie politique en France a signifié en réalité son évidement et finalement sa paralysie.
– Pierre Manent
Une opposition superficielle et mortifère
Sur les décombres de cet ancien clivage, une nouvelle ligne de fracture s’est dessinée, opposant de façon simpliste les citoyens « légitimes » à ceux perçus comme « illégitimes ». D’un côté, les partisans autoproclamés du progressisme et de l’ouverture. De l’autre, les tenants supposés d’une France frileuse et identitaire. Cette vision binaire occulte toute la complexité du corps social et attise les tensions.
L’impossible émergence d’un consensus national
Dès lors, comment s’étonner que notre vie démocratique peine à accoucher de compromis porteurs de sens ? Les extrêmes, surfant sur la colère, captent une part croissante de l’électorat. Pendant ce temps, les partis de gouvernement, arc-boutés sur leurs certitudes, se montrent incapables d’élaborer un récit fédérateur. La recherche d’une forme de bien commun semble plus que jamais hors de portée.
Reconstruire le lien démocratique : un impératif
Face à cette déliquescence, il est urgent de repenser en profondeur notre façon de « faire de la politique ». Cela suppose de rompre avec la tentation de l’entre-soi et du mépris de classe pour renouer un dialogue authentique et exigeant avec l’ensemble des citoyens. C’est à ce prix que nous pourrons rebâtir une légitimité politique aujourd’hui en lambeaux et dessiner les contours d’un véritable projet collectif.
Des urnes au travail, nous assistons à la sécession des gens ordinaires.
– Alain Supiot
Aussi inquiétante soit-elle, la situation actuelle peut être l’occasion d’un sursaut salutaire. À condition de ne pas céder aux vieux réflexes partisans et d’avoir le courage d’un aggiornamento démocratique. La paralysie n’est pas une fatalité. Encore faut-il vouloir s’en libérer.