Les résultats des élections législatives 2024 ont fait couler beaucoup d’encre, certains y voyant l’émergence de trois blocs politiques majeurs. Pourtant, selon le géographe Christophe Guilluy, cette analyse masque une réalité plus profonde : la France serait en fait coupée en deux, entre les métropoles d’un côté et la France périphérique de l’autre. Un clivage territorial qui transcenderait les clivages politiques.
Un mouvement populaire qui dépasse les urnes
Pour Christophe Guilluy, le vote des classes populaires et moyennes lors de ces élections est révélateur d’un phénomène de fond, qui va bien au-delà d’une simple contestation politique conjoncturelle. Il s’agirait en réalité d’un véritable “basculement culturel”, porté par “l’instinct de survie” de ce qu’il appelle la “majorité ordinaire”.
Vous confondez deux choses, la réalité politique et la réalité culturelle. Le mouvement des classes populaires et moyennes est moins politique qu’existentiel, il s’inscrit donc dans le temps long.
Christophe Guilluy
Ainsi, la photographie de l’Assemblée nationale issue des urnes ne serait qu’une image éphémère, vouée à s’effacer rapidement face aux transformations sociologiques et culturelles profondes à l’œuvre dans le pays. La tectonique des plaques sociales l’emporterait sur les soubresauts électoraux.
Deux France qui se font face
Concrètement, Christophe Guilluy décrit une France scindée en deux ensembles distincts :
- D’un côté, les métropoles, intégrées à la mondialisation, où se concentrent les élites et les catégories sociales supérieures.
- De l’autre, la France périphérique, ces territoires relégués où vivent les classes populaires et une partie des classes moyennes, en proie à un sentiment de déclassement et de délaissement.
Entre ces deux France, le fossé se creuserait inexorablement, non seulement sur le plan économique et social, mais aussi et surtout sur le plan culturel et identitaire. Deux visions du monde qui cohabiteraient de plus en plus difficilement sur le même territoire national.
Une majorité silencieuse qui ne veut plus se taire
Longtemps invisibilisées, ignorées ou méprisées par les élites, les classes populaires et moyennes de la France périphérique seraient en train de s’éveiller, de prendre conscience de leur force et de faire entendre leur voix. Un réveil qui ne se limiterait pas à l’isoloir, mais qui s’exprimerait dans tous les aspects de la vie quotidienne.
Nous assistons à un basculement culturel qui dépasse de loin la question de la physionomie de l’Assemblée nationale ; cette photographie de l’Assemblée s’effacera rapidement comme l’encre sympathique…
Christophe Guilluy
Pour le géographe, ce mouvement de fond serait porté par un puissant “instinct de survie” des catégories populaires, désireuses de préserver leur mode de vie, leurs valeurs et leur identité face aux bouleversements de la mondialisation. Une aspiration qui ne pourrait être réduite à un simple vote contestataire.
Vers un choc des cultures ?
Au-delà des joutes électorales, c’est donc un véritable choc de cultures et de modèles de société qui se profilerait, entre une France mondialisée et métropolitaine d’un côté, et une France périphérique attachée à ses racines de l’autre. Un clivage durable et profond, qui risque de marquer durablement le paysage politique et social hexagonal.
Face à cette fracture béante, Christophe Guilluy appelle à prendre la mesure des aspirations de cette France oubliée, afin d’éviter une rupture irrémédiable. Un défi majeur pour les gouvernants actuels et futurs, sommés de réconcilier ces deux France qui ne se comprennent plus, et semblent de plus en plus s’éloigner l’une de l’autre.