Les récentes élections législatives ont fait voler en éclats l’illusion d’apolitisme longtemps entretenue par les influenceurs. Pris dans la tourmente d’un scrutin particulièrement clivant, de nombreux youtubeurs se sont sentis obligés de prendre position, abandonnant leur neutralité habituelle. Un tournant majeur pour un secteur qui s’est construit en se tenant à l’écart de la politique.
Quand les influenceurs entrent dans l’arène politique
La pression était forte pour les créateurs de contenus en cette période électorale. Sommés par leur communauté de se positionner, beaucoup ont fini par céder et révéler leurs opinions politiques. C’est le cas de Tibo Inshape, numéro 1 sur YouTube France avec ses 19 millions d’abonnés. S’il a d’abord tenté de rester en retrait, il a fini par avouer avoir voté pour la majorité présidentielle, las d’être taxé de « facho » ou de « raciste ».
Mais Tibo Inshape est loin d’être un cas isolé. De nombreuses autres figures des réseaux sociaux ont également franchi le Rubicon, à l’image de Squeezie ou d’EnjoyPhoenix. Des prises de position sans précédent pour ces influenceurs, habituellement peu enclins à évoquer des sujets clivants de peur de s’aliéner une partie de leur public.
La fin de l’apolitisme à tout prix
Pour Magali Berdah, papesse des influenceurs, ce virage politique marque un point de non-retour : « Il n’y a plus de retour en arrière possible. Les influenceurs ne pourront plus faire comme si la politique n’existait pas, surtout lors des grands rendez-vous électoraux. » Un constat partagé par de nombreux observateurs, qui y voient la fin d’une époque.
Les influenceurs ont compris qu’en restant silencieux, ils prenaient aussi position. Leur crédibilité est en jeu.
Michael Tapiro, sociologue spécialiste des réseaux sociaux
Car en réalité, cette neutralité tant vantée relevait souvent plus d’une stratégie que d’une véritable conviction. En évitant soigneusement les sujets qui fâchent, les influenceurs s’assuraient de ne froisser personne et de préserver leur communauté.
Un risque calculé
Mais en cette période troublée, une telle posture est devenue intenable. Face à la montée des extrêmes et à la radicalisation du débat public, difficile de rester au-dessus de la mêlée. En prenant position, les influenceurs prennent certes le risque de s’aliéner une partie de leurs fans. Mais ils gagnent aussi en authenticité et en profondeur.
C’est un pari risqué mais nécessaire selon Marlène, influenceuse lifestyle suivie par plus d’un million de personnes : « Aujourd’hui, on ne peut plus se cacher derrière son écran et faire comme si le monde autour n’existait pas. Nos abonnés attendent de nous qu’on soit cohérents et engagés. Même si ça peut faire perdre des followers. »
Vers une politisation durable des influenceurs ?
Si la prise de parole politique des influenceurs est aujourd’hui dictée par un contexte bien particulier, elle pourrait néanmoins faire des émules. Maintenant que le tabou est levé, difficile d’imaginer un retour en arrière. D’autant que l’engagement est une valeur montante chez les jeunes générations, principales cibles des influenceurs.
- 68% des 18-24 ans estiment que les marques doivent s’engager dans les combats de société (étude OpinionWay, 2023)
- 74% des millennials attendent des influenceurs qu’ils expriment leurs convictions (étude Reech, 2022)
Dans ce contexte, les créateurs de contenus ont tout intérêt à cultiver une véritable conscience politique s’ils veulent rester en phase avec leur public. Et cela passe par une réelle réflexion sur les sujets de société, plutôt que par des prises de position purement cosmétiques.
Les influenceurs vont devoir apprendre à être des citoyens engagés et non plus seulement des vitrines pour marques. C’est un changement de paradigme total.
Juliette Levy, directrice d’une agence d’influence
Une politisation qui ne sera pas sans conséquence sur l’écosystème de l’influence. Fini le temps de l’innocence et de l’apolitisme décomplexé, place à des créateurs de contenus conscients de leur responsabilité dans le débat public. Un pas vers la maturité pour un secteur encore jeune, qui se cherche une légitimité. Les élections législatives pourraient bien être le déclencheur d’une véritable révolution pour les influenceurs. Reste à savoir quelle direction elle prendra.
