Imaginez-vous sur un terrain de football, sous les projecteurs d’un grand stade, acclamé par des milliers de supporters. Le ballon fuse, l’adrénaline monte, et pourtant, dans un coin de votre tête, persistent les échos d’explosions et les images d’une ville en ruines. C’est la réalité quotidienne des joueurs de l’équipe nationale du Soudan, qui participent à la Coupe d’Afrique des nations 2025 au Maroc avec une mission bien plus grande que la simple victoire sportive.
Un espoir footballistique au cœur du chaos
Depuis avril 2023, le Soudan est plongé dans un conflit sanglant opposant l’armée régulière aux Forces de soutien rapide. Ce affrontement pour le pouvoir a transformé le quotidien en cauchemar pour des millions de personnes. Des dizaines de milliers de morts, près de 12 millions de déplacés, une famine rampante et un système de santé effondré : le pays traverse ce que l’ONU qualifie de pire crise humanitaire mondiale.
Dans ce contexte apocalyptique, le football devient bien plus qu’un sport. Il se transforme en symbole de résilience, en bouffée d’oxygène pour un peuple épuisé. Les Crocodiles du Nil, comme on surnomme l’équipe soudanaise, portent sur leurs épaules le poids d’une nation qui rêve d’oublier, ne serait-ce que le temps d’un match, les souffrances du quotidien.
Mohamed Al Nour : de la terreur à la pression du but
Mohamed Al Nour, gardien de but de 25 ans, évolue normalement à Al Merreikh, l’un des clubs phares du pays. Quand la guerre a éclaté, il a dû ranger ses gants pendant de longs mois. “On a vécu la terreur”, confie-t-il avec une retenue touchante. Son propre frère a été détenu près de neuf mois par les paramilitaires.
Aujourd’hui, sur les pelouses marocaines, ce portier ne défend plus seulement son but. Il défend l’honneur et l’espoir de tout un peuple. Chaque parade, chaque arrêt, est dédié à ceux qui souffrent au pays. Il rêve que son équipe aille le plus loin possible dans la compétition pour “faire plaisir au peuple” soudanais, confronté à l’effondrement des infrastructures et à la faim dans certaines régions.
Nous voulons offrir un moment de joie, un répit dans cette épreuve interminable.
Cette volonté transcende les performances purement sportives. Elle donne une dimension presque sacrée à chaque rencontre.
Un parcours surprenant à la CAN 2025
Le Soudan a entamé la compétition par une défaite logique face à l’Algérie (3-0). Rien de surprenant face à l’un des favoris. Mais ensuite, les Crocodiles du Nil ont créé l’exploit en battant la Guinée équatoriale 1-0, à Casablanca. Une victoire précieuse, seulement la deuxième en six participations à la phase finale de la CAN.
Le Soudan n’a plus remporté la Coupe d’Afrique depuis 1970, une époque révolue où le pays vivait en paix relative. Cette qualification pour les huitièmes de finale représente déjà un immense accomplissement. Elle prouve que, même dans l’adversité, le talent et la détermination peuvent briller.
Le dernier match de poule opposait les Soudanais au Burkina Faso. Une rencontre décisive pour consolider leur place et continuer à porter haut les couleurs nationales.
Rappel historique : La seule couronne continentale du Soudan remonte à 1970, disputée à domicile. Depuis, le pays n’a plus atteint les sommets, mais l’édition 2025 redonne espoir à toute une génération.
Un championnat national à l’arrêt
Depuis le début du conflit, le championnat soudanais est suspendu. Les deux géants du football local, Al Merreikh et Al-Hilal, ont dû s’exiler successivement en Mauritanie puis au Rwanda pour continuer à s’entraîner et disputer des matchs.
En 2025, un mini-tournoi a été organisé pour permettre aux clubs de maintenir leur éligibilité aux compétitions continentales. La Fédération soudanaise annonce une reprise partielle du championnat en janvier, uniquement dans les zones considérées comme sûres. Un signe timide de retour à la normale, même si la situation reste extrêmement précaire.
Ces conditions d’entraînement précaires n’ont pas empêché les joueurs de se préparer avec sérieux. Chaque rencontre amicale ou officielle a été utilisée pour souder le groupe et créer une véritable osmose collective.
Ammar Taifour : le choc du 15 avril 2023
Ammar Taifour, milieu de terrain de 28 ans possédant également la nationalité américaine, se souvient avec précision du jour où tout a basculé. Le 15 avril 2023, son club Al Merreikh était en stage à Khartoum quand les premiers coups de feu ont retenti.
“C’était la surprise totale, le choc. Personne ne s’y attendait”, raconte-t-il. Les jours suivants ont été marqués par des coupures d’électricité, des tirs incessants et une confusion générale. Le joueur évolue désormais au Club sportif sfaxien, en Tunisie, loin des dangers de son pays natal.
Après la victoire contre la Guinée équatoriale, les réactions des Soudanais, que ce soit dans le stade ou via les messages envoyés depuis l’étranger, ont profondément touché l’équipe. Ces témoignages montrent à quel point le football peut, pendant 90 minutes, éloigner les esprits de la guerre.
C’était vraiment génial de voir leur réaction. On veut les aider à s’évader, même brièvement, de cette réalité terrible.
Une guerre qui ne s’éteint pas
Plus de deux ans après le début des hostilités, le conflit continue de faire rage. Exécutions, pillages, violences sexuelles : les deux camps sont accusés de graves exactions. Récemment, les Forces de soutien rapide ont pris El-Facher, dernier bastion de l’armée au Darfour, et recentré leurs opérations sur le Kordofan voisin.
Les tentatives internationales pour obtenir une trêve sont jusqu’à présent restées vaines. Dans ce contexte, les prières des joueurs pour la paix prennent une dimension particulière. Ammar Taifour résume le sentiment général : “Je prie juste pour la paix et pour que tous ceux qui vivent cette situation soient en sécurité.”
Cette simplicité dans l’expression traduit une lassitude profonde, mais aussi une espérance intacte. Le football devient alors un vecteur d’unité nationale, transcendant les divisions ethniques et politiques qui alimentent le conflit.
Impact humanitaire : Près de 12 millions de déplacés, des régions entières en famine, un système de santé détruit. Le sport offre une parenthèse, mais ne résout pas la crise profonde que traverse le pays.
Le rôle du sport dans les sociétés en crise
L’histoire montre que le sport peut jouer un rôle majeur dans les contextes de guerre. Il rassemble, il unit, il redonne de la dignité. Pour le Soudan, chaque match des Crocodiles du Nil à la CAN est suivi avec passion par ceux qui ont accès à une télévision ou à internet.
Ces moments de joie collective, même fugaces, renforcent le sentiment d’appartenance nationale. Ils rappellent que, malgré les divisions armées, il existe encore un Soudan uni autour de valeurs communes.
Les joueurs en sont conscients. Leur engagement sur le terrain va bien au-delà des trois points. Il s’agit d’envoyer un message d’espoir, de prouver que la vie continue, que le talent soudanais existe toujours.
Vers les huitièmes : un rêve accessible
Qualifiés pour les huitièmes de finale, les Soudanais portent désormais les espoirs de toute une nation. Chaque étape supplémentaire dans la compétition prolonge ce répit précieux pour le peuple. Les supporters, dispersés à travers le monde, suivent avec ferveur les exploits de leurs héros.
Le chemin reste long et semé d’embûches face à des adversaires plus expérimentés. Mais l’équipe a déjà prouvé qu’elle pouvait surprendre. La détermination forgée dans l’adversité pourrait bien être son arme la plus puissante.
Quel que soit le résultat final, cette participation à la CAN 2025 restera gravée dans les mémoires. Elle symbolise la résistance d’un peuple qui refuse de se laisser abattre complètement.
Le football soudanais, à travers cette épopée marocaine, rappelle au monde entier que même dans les heures les plus sombres, l’espoir peut surgir d’un ballon qui roule sur un terrain vert. Les Crocodiles du Nil continuent de nager contre le courant, porteurs d’un message universel de paix et de résilience.
Et qui sait, peut-être que ces performances inspireront un jour les négociateurs à trouver une issue pacifique au conflit. En attendant, chaque parade de Mohamed Al Nour, chaque passe d’Ammar Taifour, est un acte de résistance et d’amour pour leur pays meurtri.









