Imaginez un pays où un militaire ayant pris le pouvoir par la force se présente à une élection et remporte une victoire si large qu’elle frôle l’unanimité dans certaines régions. C’est exactement ce qui se passe en Guinée en cette fin d’année 2025. Le général Mamadi Doumbouya semble s’acheminer vers un triomphe électoral incontestable, dans un contexte marqué par l’absence des principaux opposants et un appel au boycott.
Une Victoire Annoncée Pour Le Chef De La Junte
Les résultats partiels publiés progressivement depuis lundi dessinent un paysage électoral sans surprise. Le général Doumbouya, âgé de 41 ans et candidat indépendant, domine largement face à huit concurrents peu connus du grand public.
Dans la capitale Conakry, il s’impose déjà dans au moins huit des treize communes. En province, ses scores atteignent fréquemment des niveaux très élevés, parfois supérieurs à 90 %. Cette tendance se confirme également parmi la diaspora guinéenne en Afrique, en Europe, en Asie et aux États-Unis.
La direction générale des élections n’a pas précisé la proportion que représentent ces résultats partiels par rapport à l’ensemble des suffrages. Mais l’avance confortable du chef de la junte laisse peu de place au doute : une victoire dès le premier tour paraît acquise.
Un Scrutin Organisé Plus De Quatre Ans Après Le Coup D’État
Pour bien comprendre la situation, il faut remonter à septembre 2021. À cette époque, le général Doumbouya renversait le président Alpha Condé, au pouvoir depuis 2010 et réélu controversé en 2020 pour un troisième mandat.
Ce coup d’État avait été suivi d’engagements pour une transition vers un retour des civils au pouvoir. Plus de quatre ans plus tard, cette élection présidentielle marque une étape décisive, mais dans des conditions particulières.
Les principaux leaders de l’opposition ont été écartés du processus, soit par des interdictions, soit par des contraintes diverses. Face à cela, les forces d’opposition ont choisi la stratégie du boycott actif.
Près de 6,8 millions d’électeurs étaient inscrits, dont environ 125 000 à l’étranger. Neuf candidats étaient en lice, mais seul le général Doumbouya bénéficiait d’une notoriété nationale importante.
Une Participation Officielle Impressionnante
L’un des enjeux majeurs de ce scrutin résidait dans le taux de participation. En l’absence de véritable compétition, la mobilisation des électeurs devenait le principal indicateur de légitimité.
La responsable de la direction générale des élections a annoncé un chiffre de 85 %. Ce niveau élevé contraste fortement avec l’appel au boycott lancé par l’opposition.
Ce taux de participation apparaît d’autant plus remarquable qu’il suit un référendum constitutionnel fin septembre, où la participation officielle avait atteint 91 %. Ces deux chiffres soulèvent des interrogations sur la réalité de la mobilisation populaire.
Une immense majorité de Guinéens a choisi de boycotter la mascarade électorale.
Front national pour la défense de la Constitution (FNDC)
Le mouvement citoyen FNDC, qui milite pour un retour rapide au pouvoir civil, conteste vigoureusement ces chiffres. Selon lui, la faible affluence dans les bureaux de vote dimanche témoigne d’un rejet massif du processus.
La Nouvelle Constitution Au Cœur Du Débat
Le référendum de septembre a adopté une nouvelle Constitution. Ce texte a été critiqué par l’opposition qui y voyait une manœuvre pour permettre au général Doumbouya de se présenter.
Effectivement, la nouvelle loi fondamentale autorise les membres de la junte à briguer des mandats électifs. Elle allonge également la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans, renouvelable une seule fois.
Ces modifications ont ouvert la voie à la candidature du chef de la transition. Elles illustrent la volonté de restructurer en profondeur le cadre institutionnel du pays.
Principales nouveautés de la Constitution guinéenne :
- Autorisation pour les militaires de la transition de se présenter aux élections
- Mandat présidentiel porté à 7 ans
- Renouvellement possible une seule fois
- Référendum marqué par une participation officielle de 91%
Cette réforme constitutionnelle apparaît comme l’étape préalable indispensable à la consolidation du pouvoir actuel.
Le Regard De La Communauté Internationale
Une mission d’observation de l’Union africaine a suivi le déroulement du scrutin. Dans un communiqué publié mardi, elle a salué un vote « crédible » qui s’est tenu dans le calme.
Les observateurs proposent même d’examiner la possibilité de lever les sanctions imposées au pays après le coup d’État de 2021. Cette position pourrait marquer un tournant dans les relations entre la Guinée et ses partenaires régionaux.
Toutefois, la mission n’ignore pas les zones d’ombre. Elle appelle à lutter plus efficacement contre les enlèvements et disparitions forcées, un phénomène qui s’est accentué ces dernières années.
De nombreuses figures de l’opposition ont été victimes de disparitions ces derniers temps. Ce contexte de rétrécissement des libertés publiques pèse lourdement sur l’évaluation globale du processus démocratique.
Un Contexte De Rétrécissement Des Libertés
Depuis le coup d’État, les espaces de contestation se sont progressivement réduits. Les manifestations ont été limitées, les médias critiques ont subi des pressions, et plusieurs leaders politiques ont choisi l’exil ou ont été empêchés de participer.
Les candidats concurrents du général Doumbouya, bien que présents sur les bulletins, n’ont pas bénéficié de la même visibilité ni des mêmes moyens. Leur campagne est restée confidentielle face à la machine mise en place par le pouvoir.
Ce déséquilibre a renforcé le sentiment d’une élection jouée d’avance. Le boycott apparaît alors comme la seule option viable pour exprimer un désaccord profond avec la direction prise par la transition.
Quelles Perspectives Pour La Guinée ?
Avec cette victoire quasi certaine, le général Doumbouya s’apprête à entamer un mandat de sept ans. La question de la légitimité populaire restera toutefois en suspens, tant le contexte du scrutin divise profondément la société guinéenne.
La levée potentielle des sanctions pourrait ouvrir une nouvelle phase de relations internationales plus apaisées. Mais le défi principal résidera dans la réconciliation nationale et la restauration d’un espace politique pluraliste.
Les mois à venir diront si cette élection marque le début d’une stabilisation durable ou si elle cristallise davantage les tensions accumulées depuis quatre ans.
En attendant les résultats définitifs, une chose est sûre : la Guinée entre dans une nouvelle ère politique dominée par la figure du général Mamadi Doumbouya. L’histoire jugerea si cette page tournée par les urnes permettra au pays de tourner définitivement celle du coup d’État.
Ce scrutin, par son déroulement et ses enjeux, illustre les défis complexes des transitions post-coup d’État en Afrique de l’Ouest. Entre volonté de stabilité et aspiration à une démocratie pleine et entière, la Guinée se trouve à un carrefour décisif.
Les Guinéens, dans leur diversité, continueront d’observer avec attention les premières décisions du nouveau président. L’espoir d’un apaisement et d’un développement inclusif reste vif, malgré les controverses qui entourent cette élection.









