Imaginez une nuit d’hiver glaciale, un jeune étudiant qui tente courageusement d’empêcher un vol de voitures dans sa résidence. En quelques secondes, tout bascule : deux coups de couteau, une vie fauchée à 23 ans, un père grièvement blessé. Cette scène tragique s’est déroulée à Montpellier il y a près de quinze ans. Pourtant, aujourd’hui encore, la famille de la victime attend toujours une forme de justice complète.
Une affaire judiciaire interminable entre deux pays
Le 3 janvier 2011, Pierre Hibon-de-Frohen, étudiant en histoire plein d’avenir, perd la vie dans les bras de son père. Les deux hommes avaient surpris un individu en train de fracturer des véhicules. L’agresseur, alors âgé de seulement 16 ans et possédant la double nationalité franco-algérienne, n’hésite pas à sortir un couteau. Pierre reçoit deux coups mortels au cœur. Son père, touché sous la clavicule, survit miraculeusement mais porte encore les séquelles physiques et psychologiques de cette nuit cauchemardesque.
L’auteur des faits, prénommé Saïd N., prend immédiatement la fuite vers l’Algérie, pays d’origine de sa famille. Grâce à sa double nationalité, aucune extradition n’est possible. Commence alors un long parcours judiciaire parallèle entre la France et l’Algérie, marqué par des tensions diplomatiques et des questions de souveraineté.
La condamnation en Algérie : dix ans derrière les barreaux
Arrêté sur le sol algérien, Saïd N. est jugé à Oran. Les autorités locales le condamnent à une peine de dix années d’emprisonnement pour homicide. Il purge l’intégralité de cette sanction, ou presque, dans une prison algérienne. À l’époque, cette décision semble clore le chapitre pénal pour beaucoup. Mais en France, l’instruction continue son cours, indépendamment.
La famille de Pierre, elle, ne peut tourner la page. Le père, en particulier, reste hanté par cette agression. Il exprime souvent ce sentiment d’inachevé : comment accepter que l’assassin de son fils ait été jugé loin des lieux du drame, sans que la vérité complète n’ait été établie devant un tribunal français ?
Pendant ces années, les parties civiles attendent. Elles espèrent qu’un jour, la justice de leur pays pourra examiner les faits sous tous les angles, avec les témoignages directs et les expertises réalisées sur le sol français.
Le retour inattendu en France et l’interpellation
Fin 2019, surprise majeure : Saïd N., alors âgé de 25 ans, décide de revenir en France après avoir purgé sa peine. Il atterrit à Montpellier, la ville même du crime. À peine arrivé, il est interpellé en raison d’un mandat d’arrêt toujours en vigueur. La procédure française, entamée depuis 2011, n’a jamais été abandonnée.
Cette arrestation ravive les plaies de la famille. D’un côté, une forme de satisfaction : l’homme est enfin entre les mains de la justice française. De l’autre, une immense fatigue face à cette saga qui semble sans fin. La défense, quant à elle, crie immédiatement à l’injustice.
Rapidement, des questions juridiques complexes émergent. Peut-on juger une seconde fois une personne déjà condamnée pour les mêmes faits ? Ce principe, connu sous le nom latin de non bis in idem, devient le cœur du débat.
Les premiers rebondissements devant les tribunaux français
Dès 2020, la cour d’appel de Montpellier doit trancher une première fois. Elle décide de remettre Saïd N. en liberté, estimant que sa détention en France, après une condamnation en Algérie, pose problème. La famille de la victime vit cela comme un nouveau coup dur. L’idée de croiser l’assassin de leur fils dans les rues de la ville les terrifie.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. La procédure française reprend. Des arrêts de renvoi devant les assises sont pris, puis cassés à plusieurs reprises pour des vices de forme. La défense multiplie les recours, arguant que tout jugement en France violerait les conventions internationales.
En 2021, nouvelle annulation de la procédure française par la cour d’appel. Les avocats de Saïd N. insistent : leur client a déjà payé sa dette envers la société en Algérie. Le rejuger serait une double peine inacceptable.
La convention bilatérale au centre du débat
Tout repose désormais sur l’interprétation d’une convention d’entraide judiciaire signée entre la France et l’Algérie en 2016. Cet accord reconnaît, dans certains cas, le principe de non bis in idem. La défense estime qu’il s’applique parfaitement ici : mêmes faits, même personne, condamnation déjà prononcée.
Les parties civiles, elles, contestent cette lecture. Elles soulignent que les deux procédures n’ont pas été menées de manière coordonnée dès le départ. Les investigations françaises et algériennes ont suivi des voies séparées, sans véritable coopération initiale.
Au-delà du texte juridique, c’est une question de confiance qui se pose : la condamnation algérienne est-elle équivalente, aux yeux de la justice française, à ce qu’aurait prononcé un tribunal en France ? La famille de Pierre souhaite un procès public, avec tous les éléments du dossier examinés devant des jurés français.
La famille veut un procès en France mais elle est aussi épuisée par ces atermoiements. Elle considère que la justice, de toute façon, est passée à côté de l’essentiel.
Le non-lieu prononcé en décembre 2025
Courant décembre 2025, la cour d’appel rend une décision majeure. Elle choisit d’appliquer « à titre exceptionnel » l’article 21 de la convention bilatérale. Résultat : un non-lieu est prononcé en faveur de Saïd N. Autrement dit, plus de poursuites possibles en France.
Cette nouvelle soulève un vent de protestation du côté des parties civiles. Elles y voient une victoire de la procédure sur la recherche de vérité. Comment accepter que l’assassin de leur fils, frère, ami, puisse vivre librement à Montpellier sans avoir répondu de ses actes devant la justice de son pays d’adoption ?
Saïd N., aujourd’hui âgé de 31 ans, se trouve ainsi blanchi une seconde fois. La défense jubile : le droit international a été respecté.
Le pourvoi en cassation : dernier espoir des parties civiles
Mais l’affaire connaît un énième rebondissement. Dans la foulée de cette décision, le parquet général annonce se pourvoir en cassation. La plus haute juridiction française va devoir trancher : la convention bilatérale doit-elle primer ? Le principe de non bis in idem s’applique-t-il sans nuance dans ce cas précis ?
Pour la famille, ce pourvoi représente un ultime espoir. Ils souhaitent ardemment un procès devant les assises de l’Hérault. Un procès qui permettrait enfin de dire toute la vérité, d’entendre les témoins, de comprendre les circonstances exactes de cette nuit fatale.
L’avocat des parties civiles exprime cette lassitude mêlée d’espérance : la famille est soulagée par cette cassation mais épuisée par quinze années d’attente. Elle pose une question fondamentale : la justice algérienne est-elle pleinement reconnue par la justice française dans un cas aussi grave ?
Les implications plus larges de cette affaire
Au-delà du drame personnel, cette saga judiciaire soulève des interrogations profondes sur les relations franco-algériennes en matière pénale. Quand un individu possède la double nationalité, comment gérer les crimes commis sur le sol français ? L’absence d’extradition systématique crée-t-elle une forme d’impunité pour certains délinquants ?
Cette affaire met aussi en lumière les limites des conventions internationales. Signées pour faciliter la coopération, elles peuvent parfois aboutir à des situations perçues comme injustes par les victimes. Le équilibre entre respect du droit international et besoin de justice nationale reste fragile.
Enfin, elle interroge sur la reconnaissance mutuelle des jugements pénaux. Dans un monde globalisé, avec des millions de binationaux, ces questions deviendront de plus en plus fréquentes. Trouver un cadre clair et équitable apparaît indispensable.
L’attente interminable pour la famille de Pierre
Quinze ans après les faits, la famille Hibon-de-Frohen vit toujours dans l’incertitude. Le 2 janvier 2026 marquera l’anniversaire de cette tragédie. Ils espèrent que cette date ne sera pas une de plus dans l’attente, mais peut-être le début d’une clôture définitive.
Le père de Pierre, en particulier, porte un poids immense. Blessé physiquement lors de l’agression, il l’est encore plus moralement. Voir l’auteur des faits revenir librement dans la ville où tout s’est passé représente une souffrance quotidienne.
Ils ne demandent pas vengeance, mais justice. Un procès en France, avec débats publics et verdict de jurés populaires, leur semble nécessaire pour enfin faire leur deuil.
Vers une décision finale de la Cour de cassation
Tout repose désormais sur les sages de la Cour de cassation. Leur arrêt pourrait créer une jurisprudence importante pour les affaires similaires impliquant la double nationalité et les conventions bilatérales.
Quelle que soit l’issue, cette affaire laisse un goût amer. Elle illustre les complexités du droit dans un contexte international, mais aussi le sentiment d’abandon que peuvent ressentir les victimes face à des considérations purement procédurales.
En attendant, Montpellier continue de vivre avec ce drame non résolu. Une ville étudiante dynamique, mais marquée par cette histoire qui rappelle que la justice, parfois, prend des chemins bien sinueux.
L’espoir demeure que, quel que soit le verdict final, les proches de Pierre pourront un jour trouver la paix. Quinze ans, c’est déjà trop long pour attendre une réponse définitive à une question aussi fondamentale : qui paie vraiment pour un crime aussi grave ?
À retenir :
- Un meurtre commis en 2011 à Montpellier reste judiciaire actif en 2025.
- L’auteur, binational, a été condamné en Algérie mais la France veut son propre procès.
- Le principe de non bis in idem oppose défense et parties civiles.
- Un pourvoi en cassation pourrait tout changer.
- La famille attend toujours une forme de reconnaissance complète de sa souffrance.
Cette histoire tragique nous rappelle que derrière chaque dossier judiciaire se cachent des vies brisées. Espérons que 2026 apporte enfin des réponses claires à ceux qui ont tout perdu cette nuit-là.









