Imaginez un pays où, du jour au lendemain, les armes remplacent les urnes et où les voix critiques risquent de se taire sous la menace. C’est la réalité à laquelle fait face la Guinée-Bissau depuis la fin novembre. Une organisation internationale de défense des journalistes tire la sonnette d’alarme face à des signes inquiétants pour la liberté de la presse.
Une transition militaire qui inquiète les défenseurs de la presse
Ce petit État d’Afrique de l’Ouest, connu pour sa longue histoire d’instabilité politique, traverse une nouvelle période trouble. Des militaires ont pris le pouvoir juste avant la proclamation des résultats des élections présidentielle et législatives. Le processus électoral a été suspendu, plongeant le pays dans l’incertitude.
Depuis, une junte dirige le pays et a désigné un général comme président de transition pour une durée prévue d’un an. Un document officiel, présenté comme le cadre juridique de cette période, contient des dispositions qui font frémir les professionnels des médias.
Le document qui sème le doute
Ce texte exige des médias qu’ils “collaborent” avec les nouvelles autorités. L’objectif affiché est d’éviter la diffusion de contenus pouvant inciter à la violence ou à la désobéissance civile. En cas de manquement, la sanction est claire : fermeture immédiate des organes concernés.
Pour de nombreux responsables de rédactions, ces formulations sonnent comme un appel déguisé à l’autocensure. Ils craignent une volonté de contrôle strict de l’information, limitant ainsi la possibilité de relater les événements de manière indépendante.
Cette interprétation n’est pas isolée. Elle s’appuie sur des précédents observés dans d’autres pays de la région dirigés par des régimes militaires. Là-bas, les autorités ont parfois imposé un traitement “patriotique” de l’actualité, marginalisant toute voix critique.
Un précédent immédiat alarmant
Dès les premiers jours suivant la prise de pouvoir, les nouvelles autorités ont suspendu l’ensemble des médias privés pendant trois jours. Cette mesure, prise sans explication détaillée, a été perçue comme un signal fort, presque une mise en garde.
Pour les observateurs, couper ainsi les canaux d’information indépendants juste après un changement de régime par la force n’augure rien de bon. Cela rappelle que, dans les moments de crise politique, la presse est souvent la première à subir des restrictions.
Le droit à l’information, pourtant essentiel en démocratie comme en période de transition, semble menacé. Les citoyens ont besoin de sources diversifiées pour comprendre les enjeux et suivre l’évolution de la situation.
Les exigences des défenseurs des journalistes
Face à ces développements, une organisation internationale spécialisée a adressé une demande claire aux autorités de transition. Elle réclame des garanties concrètes pour assurer la sécurité des journalistes et permettre l’exercice libre de leur métier.
Ces garanties passent par plusieurs mesures précises. D’abord, l’absence totale de censure, quelle que soit la sensibilité des sujets abordés. Ensuite, une transparence dans l’attribution des subventions publiques aux médias, pour éviter toute pression financière déguisée.
Enfin, l’ouverture systématique d’enquêtes en cas d’agressions ou de menaces contre des professionnels de l’information. Ces enquêtes doivent être impartiales et mener à des sanctions si nécessaire.
Il est crucial que le droit à l’information prévale en toute circonstance et que les médias exercent leur mission sans représailles.
Cette phrase, prononcée par le responsable du bureau Afrique subsaharienne de l’organisation, résume l’enjeu majeur. Sans un environnement sûr, la presse ne peut remplir son rôle de contre-pouvoir et d’informatrice du public.
Un classement qui reflète la dégradation
Le contexte n’est pas nouveau en Guinée-Bissau. Le pays figure déjà parmi ceux où la liberté de la presse est fragile. Dans le classement mondial établi annuellement, il occupe une position peu enviable.
En 2025, il se situe à la 110e place sur 180 pays évalués. Cela représente une chute notable par rapport à l’année précédente, où il était mieux positionné. Cette régression traduit une tendance préoccupante, accentuée par les récents événements.
Les classements de ce type prennent en compte de multiples critères : agressions contre les journalistes, censure, concentration des médias, cadre légal. Chaque recul signale une détérioration de l’environnement pour les professionnels de l’information.
Pourquoi la liberté de la presse est-elle si importante en période de crise ?
Dans les moments d’instabilité politique, le rôle des médias devient encore plus crucial. Ils permettent aux citoyens de comprendre les décisions prises, d’évaluer les promesses des nouvelles autorités et de rester informés des évolutions.
Sans une presse libre, les rumeurs prennent le dessus. Les informations officielles, souvent filtrées, dominent le paysage. Le débat public s’appauvrit, rendant difficile toute mobilisation citoyenne éclairée.
De plus, une presse muselée ouvre la porte à des abus de pouvoir non dénoncés. Les violations des droits, les détournements ou les erreurs de gouvernance passent inaperçus, au détriment de la population.
Les risques de l’autocensure
L’autocensure est peut-être le danger le plus insidieux. Lorsque les journalistes anticipent les représailles, ils choisissent parfois de ne pas publier certaines informations. Ce mécanisme invisible déforme la réalité présentée au public.
Les rédacteurs en chef peuvent hésiter à traiter des sujets sensibles. Les reporters sur le terrain évitent certaines questions. Petit à petit, l’espace pour le journalisme d’investigation se rétrécit.
À long terme, cela affaiblit la société toute entière. Une population mal informée prend des décisions moins éclairées. La confiance envers les institutions s’effrite encore davantage.
Comparaison avec d’autres pays de la région
La Guinée-Bissau n’est pas un cas isolé en Afrique de l’Ouest. Plusieurs voisins ont connu des prises de pouvoir par l’armée ces dernières années. Dans certains d’entre eux, les relations entre militaires au pouvoir et médias se sont fortement dégradées.
On y observe des exigences similaires de “patriotisme” dans le traitement de l’information. Les reportages critiques sur la gestion du pays deviennent rares. Des médias étrangers sont parfois expulsés ou interdits.
Ces exemples servent d’avertissement. Ils montrent comment une transition militaire peut, si elle n’est pas encadrée, mener à une restriction durable des libertés fondamentales.
Quel avenir pour les médias bissau-guinéens ?
La période de transition d’un an sera déterminante. Si les autorités choisissent le dialogue et respectent les engagements internationaux, un retour à la normale est possible. Dans le cas contraire, le pays risque de s’enfoncer dans un cycle de restrictions.
Les journalistes locaux, eux, continuent leur travail avec courage. Malgré les incertitudes, ils s’efforcent de relater les faits. Leur détermination mérite d’être saluée et protégée.
La communauté internationale, au-delà des déclarations, pourrait jouer un rôle en conditionnant son soutien à des avancées concrètes en matière de libertés.
Les leçons à tirer pour l’ensemble de la région
Cet épisode en Guinée-Bissau rappelle une vérité plus large. Les transitions politiques, surtout lorsqu’elles surviennent par la force, mettent toujours à l’épreuve les acquis démocratiques. La liberté de la presse est souvent le premier indicateur de la direction prise.
Renforcer les mécanismes de protection des journalistes avant les crises reste essentiel. Former, équiper, sensibiliser : autant d’actions qui peuvent limiter les dérives une fois le pouvoir changé de mains.
Enfin, les citoyens eux-mêmes ont un rôle. En soutenant les médias indépendants, en exigeant la transparence, ils contribuent à préserver cet espace vital pour toute société.
En résumé : la situation en Guinée-Bissau illustre parfaitement les fragilités de la liberté de la presse dans les contextes de transition militaire. Les appels à la vigilance doivent être entendus pour éviter une dérive autoritaire qui toucherait l’ensemble des droits fondamentaux.
Rester attentif à l’évolution de ce dossier est crucial. Car derrière les enjeux de pouvoir se joue aussi, toujours, la possibilité pour chacun d’être informé librement. Une valeur qui, une fois perdue, est difficile à reconquérir.
La Guinée-Bissau, avec son histoire mouvementée, mérite mieux qu’un silence imposé. Espérons que les voix des journalistes continueront à porter, malgré les obstacles, pour éclairer l’avenir de ce pays.








