Dans les rues poussiéreuses de Bangui, une tension palpable flotte ce dimanche matin. Des milliers de Centrafricains se dirigent vers les bureaux de vote, certains avec espoir, d’autres avec résignation. Au cœur de cette journée électorale cruciale, un homme domine le paysage politique : Faustin-Archange Touadéra, qui brigue un troisième mandat consécutif dans un pays encore marqué par des années de chaos.
La République centrafricaine, l’un des États les plus fragiles du continent, organise aujourd’hui des élections générales. Présidentielle, législatives, municipales et régionales : tout se joue en même temps. Mais l’attention se porte surtout sur la course à la présidence, où le sortant semble avoir toutes les cartes en main.
Un scrutin sous haute surveillance
Les bureaux de vote ont ouvert à l’aube, et déjà, des files d’électeurs se forment. Environ 2,3 millions de Centrafricains sont appelés à exprimer leur choix. La campagne a été intense, parfois tendue, mais sans explosion majeure de violence. Un contraste frappant avec les scrutins précédents.
Touadéra, le candidat de la stabilité ?
Âgé de 68 ans, Faustin-Archange Touadéra se présente comme le garant d’une paix retrouvée. Élu en 2016 puis réélu en 2020, il met en avant les progrès sécuritaires accomplis sous son mandat. Selon ses partisans, près de 90 % du territoire est aujourd’hui contrôlé par les forces gouvernementales, contre seulement 20 % il y a quelques années.
Le président sortant aime rappeler les routes bitumées, les lampadaires installés dans la capitale et les canaux de drainage rénovés. Pour lui, ces réalisations concrètes prouvent que le pays avance enfin. Il se pose en bâtisseur, en homme capable de ramener l’ordre là où régnait le désordre.
Mais cette image de stabilité cache une réalité plus complexe. La présence massive de mercenaires étrangers, notamment russes, reste au centre des débats. Leur rôle dans la reconquête du territoire est indéniable, mais elle soulève aussi de nombreuses interrogations.
Une nouvelle Constitution pour prolonger le pouvoir
En 2023, une révision constitutionnelle majeure a été adoptée. Elle permet désormais à Faustin-Archange Touadéra de se représenter sans limite de mandats. Cette modification, votée dans un climat de forte contestation, est au cœur des critiques de l’opposition.
Pour beaucoup, ce changement ouvre la voie à un pouvoir personnel prolongé. Les opposants dénoncent un verrouillage du système politique, une stratégie pour écarter toute alternance réelle. La nouvelle loi fondamentale est devenue le symbole d’un régime accusé de s’accrocher au pouvoir.
« C’est une mascarade électorale. Il n’y a pas de dialogue politique véritable. »
Un responsable de l’opposition
Cette citation résume le sentiment d’une partie significative de la classe politique. Plusieurs candidats ont choisi de boycotter le scrutin, estimant que les conditions ne sont pas réunies pour un vote libre et équitable.
L’opposition divisée et affaiblie
Sept candidatures ont été validées pour la présidentielle. Parmi elles, deux figures se détachent comme de potentiels challengers sérieux : Anicet-Georges Dologuélé et Henri-Marie Dondra.
Anicet-Georges Dologuélé, arrivé deuxième lors des deux derniers scrutins, reste le principal opposant déclaré. Il incarne une opposition classique, modérée, qui espère encore renverser la tendance. Henri-Marie Dondra, ancien Premier ministre, représente une dissidence interne au régime.
Malgré leur présence, l’opposition semble fragmentée. Certains leaders ont été empêchés de se déplacer en province pendant la campagne, ce qui a renforcé les accusations de partialité du scrutin.
Une campagne sous haute tension sécuritaire
Les forces de sécurité étaient omniprésentes dans la capitale. Policiers, soldats et éléments de la société militaire privée russe patrouillaient les artères principales. Cette présence massive vise à garantir la tenue du scrutin, mais elle rappelle aussi la fragilité persistante du pays.
Depuis la guerre civile des années 2010, la Centrafrique a connu des périodes d’extrême violence. Les rebelles contrôlaient alors une grande partie du territoire. L’intervention de mercenaires russes et de troupes rwandaises a permis de reprendre la majorité des zones perdues.
Cette année, plusieurs accords de paix ont été signés avec des groupes armés. La mission de maintien de la paix des Nations unies reste déployée, avec des milliers de casques bleus. Tous ces éléments contribuent à une relative accalmie.
Les défis persistants du quotidien
Malgré les avancées sécuritaires, la vie des Centrafricains reste extrêmement difficile. Plus de 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les services de base font défaut : écoles, hôpitaux, routes carrossables.
Le chômage touche particulièrement les jeunes, et le coût de la vie ne cesse d’augmenter. Dans les campagnes, l’accès à l’électricité et à l’eau potable demeure un luxe pour beaucoup.
Le président sortant met en avant les chantiers réalisés à Bangui, mais ces réalisations restent limitées à la capitale. Dans les provinces, la situation est souvent bien différente.
Un contexte continental préoccupant
La présidentielle centrafricaine s’inscrit dans une vague plus large d’élections sur le continent africain. Plusieurs pays ont connu des scrutins marqués par la répression de l’opposition et le maintien au pouvoir de dirigeants de longue date.
En Guinée, le même jour, un autre scrutin présidentiel a lieu. Au Cameroun, en Côte d’Ivoire ou en Tanzanie, des leaders en place depuis de nombreuses années ont été reconduits, souvent dans des conditions controversées.
Cette tendance soulève des interrogations sur la santé de la démocratie en Afrique. Les observateurs internationaux pointent une montée de l’autoritarisme, parfois accompagnée de violences contre les opposants.
Les observateurs internationaux présents
L’Autorité nationale des élections a accrédité plus de 1 700 observateurs, dont des missions de l’Union européenne, de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale et de l’Union africaine.
Leur présence vise à garantir la transparence du scrutin. Leurs premiers rapports seront scrutés avec attention, surtout après les controverses des élections précédentes.
Les résultats provisoires de la présidentielle sont attendus pour le 5 janvier. Si aucun candidat n’obtient la majorité absolue, un second tour aura lieu. Mais beaucoup doutent qu’un tel scénario se produise.
Quels enjeux pour l’avenir du pays ?
Si Faustin-Archange Touadéra l’emporte dès le premier tour, comme les sondages et les analystes le prévoient, le pays entrera dans une nouvelle phase. Le président sortant aura alors les mains libres pour poursuivre ses projets.
Mais les défis restent immenses : reconstruction économique, réconciliation nationale, lutte contre la pauvreté, retour des déplacés. La présence de mercenaires étrangers pose aussi la question de la souveraineté nationale.
Pour beaucoup de Centrafricains, la stabilité est une priorité absolue. Après des années de guerre, la peur de retomber dans le chaos reste très forte. Cette peur joue en faveur du président sortant.
Un scrutin qui marque une nouvelle étape
Ce dimanche électoral restera dans les annales de la Centrafrique. Il illustre à la fois les progrès accomplis et les fragilités persistantes. Entre espoir de consolidation et crainte d’un pouvoir toujours plus concentré, les Centrafricains font un choix lourd de conséquences.
Dans les prochains jours, les regards du continent et du monde se tourneront vers Bangui. Les résultats confirmeront-ils la tendance annoncée ? Ou assisterons-nous à une surprise de dernière minute ?
Une chose est sûre : la Centrafrique reste un pays à la croisée des chemins. Entre désir de stabilité et aspiration à plus de démocratie, le chemin sera encore long.
Les semaines à venir seront déterminantes. Elles permettront de mesurer la capacité du pays à consolider ses acquis ou, au contraire, à replonger dans l’instabilité. L’histoire de la Centrafrique continue de s’écrire, un bulletin de vote après l’autre.
Pour l’instant, les urnes parlent. Et elles ont encore beaucoup à dire.









