Imaginez un instant que vous soyez gravement malade, que la douleur vous tenaille depuis des jours, et que l’hôpital le plus proche, votre dernier espoir, vous annonce qu’il ne peut plus vous soigner correctement. Pas parce qu’il manque de médecins, pas parce qu’il manque de médicaments, mais simplement parce qu’il n’a plus assez de carburant pour faire fonctionner ses machines. C’est la réalité que vivent aujourd’hui des dizaines de milliers de personnes dans la bande de Gaza.
Cette situation n’est pas une hypothèse lointaine : elle se déroule sous nos yeux en ce moment même. Un établissement médical emblématique du centre du territoire vient de prendre une décision dramatique qui en dit long sur l’état de la crise humanitaire actuelle.
Quand un hôpital n’a plus que quelques jours d’autonomie
Dans la ville de Nousseirat, l’hôpital al-Awda a annoncé la suspension temporaire de la majorité de ses activités. Seuls quelques services jugés indispensables continuent de fonctionner. Cette annonce, loin d’être anodine, révèle à quel point la situation énergétique est devenue critique dans l’ensemble du territoire palestinien.
Pour comprendre l’ampleur du problème, il faut d’abord saisir les chiffres. En temps normal, cet établissement consomme entre 1 000 et 1 200 litres de diesel par jour uniquement pour alimenter ses générateurs. Aujourd’hui, les réserves ne dépassent pas les 800 litres. À ce rythme, l’hôpital ne tiendra plus très longtemps.
Les services qui résistent encore
Face à cette pénurie, les équipes médicales ont dû faire des choix douloureux. Les services qui restent opérationnels sont ceux qui ne souffrent d’aucun report possible : le service des urgences, la maternité et la pédiatrie. Tout le reste – consultations spécialisées, examens d’imagerie, interventions programmées – est suspendu jusqu’à nouvel ordre.
Pour maintenir ces services minimum, l’administration a été contrainte de louer un générateur supplémentaire. Une solution temporaire, précaire, qui ne résout en rien le problème de fond.
« Si la pénurie de carburant devait se poursuivre, elle menacerait directement la capacité de l’hôpital à dispenser ses services de base. »
Ces mots prononcés par un responsable de l’association qui gère l’établissement résonnent comme un avertissement grave. Ils traduisent surtout une angoisse réelle : celle de voir s’effondrer ce qui reste du système de santé dans cette zone du territoire.
Le témoignage poignant d’une patiente
Khitam Ayada, 30 ans, incarne à elle seule le désarroi des habitants. Déplacée, comme des centaines de milliers d’autres, elle souffrait depuis plusieurs jours. Après avoir longtemps hésité, elle s’est rendue à l’hôpital al-Awda, espérant enfin obtenir des soins adaptés.
Là, on lui a expliqué que l’établissement n’avait plus d’électricité pour réaliser une simple radiographie. Impossible donc de poser un diagnostic précis. On lui a prescrit un antidouleur et conseillé de se rendre ailleurs si son état empirait. Le soir même, la douleur est devenue insupportable. Direction un autre hôpital, où on lui a finalement diagnostiqué des calculs biliaires.
« On manque de tout dans nos vies, même des services médicaux les plus basiques. »
Ce cri du cœur résume à lui seul le sentiment généralisé qui règne aujourd’hui parmi la population. La banalité des soins courants est devenue un luxe.
Une trêve qui n’a pas tout résolu
Depuis le 10 octobre, une trêve précaire est entrée en vigueur entre les parties en conflit. Cet accord devait permettre une amélioration sensible de la situation humanitaire. Parmi les engagements pris : l’entrée de 600 camions d’aide par jour sur le territoire.
Dans les faits, la réalité est bien différente. Selon les organisations humanitaires et les agences onusiennes, seuls 100 à 300 camions parviennent quotidiennement à entrer. Un écart considérable qui explique en grande partie pourquoi les pénuries persistent, y compris pour des produits aussi stratégiques que le carburant.
Le carburant, dans un territoire où l’électricité publique est quasi inexistante depuis des mois, est devenu la ressource la plus précieuse. Sans lui, les hôpitaux, les boulangeries, les stations de pompage d’eau potable, les centres de télécommunications : tout s’arrête.
Le secteur hospitalier, cible récurrente du conflit
La guerre qui a ravagé le territoire pendant deux longues années n’a pas épargné le secteur de la santé. De nombreux établissements ont été directement touchés par des bombardements. Les autorités israéliennes ont régulièrement accusé certains hôpitaux d’abriter des infrastructures militaires ou des centres de commandement. Des allégations systématiquement démenties par le mouvement armé au pouvoir dans la bande de Gaza.
Quoi qu’il en soit des responsabilités, le constat est accablant : une grande partie du système hospitalier est aujourd’hui hors service ou fonctionne au ralenti. Les infrastructures ont été détruites, les stocks épuisés, le personnel épuisé, et désormais même l’énergie manque cruellement.
La dépendance extrême à l’aide internationale
Avec plus de deux millions d’habitants, dont une immense majorité a été déplacée à plusieurs reprises, la survie quotidienne repose presque entièrement sur l’aide extérieure. Les agences des Nations unies et les organisations non gouvernementales internationales assurent l’essentiel : eau, nourriture, médicaments, abris d’urgence.
Mais cette aide, aussi généreuse soit-elle, ne parvient pas à compenser les besoins colossaux d’une population entière plongée dans une crise prolongée. Chaque jour qui passe rend la situation plus précaire.
Quelles solutions pour éviter la catastrophe ?
La question que tout le monde se pose est simple : comment sortir de cette spirale ? Les réponses sont complexes et impliquent de multiples acteurs.
La priorité absolue reste l’acheminement massif et régulier de carburant. Sans cette ressource, aucun des autres efforts ne peut porter ses fruits. Il faudrait également une protection renforcée des infrastructures vitales, en particulier les centres de santé, pour éviter de nouvelles destructions.
Mais au-delà des mesures d’urgence, c’est toute la question de la reconstruction qui se pose. Reconstruire des hôpitaux, rouvrir des services, former à nouveau du personnel, reconstituer des stocks : tout cela prendra des années. Des années que les habitants n’ont malheureusement pas devant eux.
Un appel à la conscience collective
Derrière les chiffres, les communiqués et les déclarations officielles, il y a des visages. Des médecins qui doivent trier les patients en fonction des capacités restantes de leurs générateurs. Des infirmières qui travaillent à la lueur de lampes torches. Des mères qui accouchent dans des conditions précaires. Des enfants qui attendent des soins de pédiatrie qui tardent à venir.
La crise du carburant n’est pas seulement un problème logistique. C’est un drame humain qui se joue chaque jour un peu plus dans l’ombre des projecteurs médiatiques qui se sont déplacés ailleurs.
Chaque litre de diesel qui manque aujourd’hui, c’est une radiographie qui ne sera pas faite, une opération qui sera reportée, un diagnostic qui sera retardé. Et dans un contexte de guerre prolongée, ces retards se payent souvent au prix fort.
La situation de l’hôpital al-Awda n’est malheureusement pas un cas isolé. Elle est symptomatique d’une crise beaucoup plus large qui touche l’ensemble du système de santé, et au-delà, la vie quotidienne de toute une population.
Espérons que les alertes lancées aujourd’hui seront enfin entendues, avant qu’il ne soit trop tard pour trop de personnes.
Car derrière chaque annonce de suspension de service, derrière chaque pénurie de carburant, ce sont des vies qui continuent de basculer dans la précarité la plus absolue.
Et cela, personne ne devrait pouvoir l’ignorer.









