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La Quête Déchirante des Familles Guinéennes Face aux Disparus

En Guinée, des milliers de familles attendent des nouvelles de leurs enfants partis vers l'Europe et disparus en route. Entre espoir tenace et douleur infinie, une ONG locale tente de briser le silence. Mais que devient-on quand le corps n'est jamais retrouvé et que l'État ferme les yeux ?

Imaginez recevoir un appel anonyme vous annonçant que votre fils s’est noyé en mer, sans aucune preuve, sans corps à enterrer. Juste des mots au téléphone, et puis plus rien. C’est la réalité cruelle que vivent des milliers de familles en Guinée, où les jeunes partent clandestinement vers l’Europe, rêvant d’un avenir meilleur, mais disparaissent souvent sans laisser de trace.

Cette angoisse permanente ronge les parents, les frères, les sœurs. Ils scrutent les réseaux sociaux, les groupes WhatsApp, à la recherche du moindre indice. Parfois, ils tombent sur des images insoutenables de corps échoués ou stockés dans des morgues anonymes.

Le Drame Silencieux des Disparitions en Migration

En Guinée, ce phénomène a pris une ampleur particulière ces dernières années. Le pays est devenu l’un des principaux points de départ pour les migrants d’Afrique de l’Ouest visant le Maghreb puis l’Europe. Des jeunes pleins d’espoir quittent tout, souvent avec le soutien tacite de leur famille, pour échapper au chômage et à la précarité.

Mais le voyage est semé d’embûches mortelles : traversées du désert, passeurs sans scrupules, rafles policières, prisons en Libye, et surtout les naufrages en Méditerranée. Quand la communication s’arrête brutalement, l’attente commence. Une attente qui peut durer des années, faite d’espoir irrationnel et de souffrance profonde.

Des Histoires Personnelles qui Déchirent le Cœur

Prenez Abdoul Aziz Baldé, un chauffeur de 62 ans. Son fils Idrissa, brillant étudiant titulaire de plusieurs diplômes, n’a pas supporté de voir son père s’épuiser au travail. « Laisse-moi aller chez eux chercher de quoi vivre », lui avait-il dit avant de partir pour la quatrième fois vers le Maroc en 2024.

Le 19 août 2024, un appel glaçant : « Toutes mes condoléances ». Le bateau sur lequel Idrissa avait embarqué avait chaviré deux jours plus tôt. Une survivante confirmera plus tard l’accident, mais sans certitude sur le sort du jeune homme. Aujourd’hui, le père refuse d’y croire complètement. Sans corps, comment accepter la mort ?

« Si on arrive à retrouver son corps, je voudrais faire tout mon possible pour le ramener. Parce qu’il est parti pour nous sauver… »

Abdoul Aziz Baldé, père d’Idrissa

Une autre histoire, celle d’Abdoulaye Diallo, 67 ans. Son fils aîné Abdou Karim a disparu depuis mars 2023. Les dernières traces remontent à novembre sur les réseaux sociaux. Le jeune homme avait déjà tenté plusieurs routes : Maroc, Tunisie, Libye où il fut emprisonné, Algérie…

Le père pense qu’il a pu être victime des rafles dans les forêts autour de Melilla, ou tomber entre les mains de bandits. Lui aussi pleure en évoquant cette « violence bête » qui éteint tant de vies. Il envisage une cérémonie de deuil, mais tant qu’il n’y a pas de preuve concrète, l’espoir persiste.

Et puis il y a Idrissa Diallo, 65 ans, qui attend toujours des nouvelles de son fils Aladji, disparu en Libye il y a quatre ans. Le jeune homme travaillait dans un garage avant de tenter la traversée vers la Tunisie. Depuis, rien. Le père consulte même un marabout qui lui assure que son fils est vivant.

Des Chiffres qui Donnent le Vertige

Derrière ces histoires individuelles se cache une tragédie massive. Selon l’Organisation internationale des migrations, plus de 33 000 personnes sont mortes ou disparues en Méditerranée entre 2014 et 2025, et près de 18 000 sur le continent africain.

Mais ces chiffres sont largement sous-estimés. Une ONG espagnole spécialisée recense à elle seule plus de 10 000 morts ou disparus rien que pour 2024 sur la route occidentale euro-africaine. Et parmi eux, une proportion importante de Guinéens.

Estimation approximative des disparitions :

  • Sur 100 migrants partant, au moins 10 ne reviennent jamais.
  • Des milliers de Guinéens concernés ces dernières années.
  • Parfois, la moitié des jeunes d’un village ont disparu.

Ces nombres traduisent une hécatombe silencieuse, amplifiée par l’indifférence générale. Les routes migratoires sont de plus en plus dangereuses, les contrôles frontaliers renforcés, mais les départs ne cessent pas.

Une ONG qui Apporte un Souffle d’Humanité

Face à ce tabou national et international, une lueur d’espoir émerge depuis un an avec l’Organisation guinéenne pour la lutte contre la migration irrégulière (OGLMI). Cette association locale effectue un travail pionnier : identifier les familles, recueillir informations et éléments d’identification, puis transmettre à un réseau de partenaires au Maghreb, en Europe, voire plus loin.

Son directeur exécutif, Elhadj Mohamed Diallo, sillonne Conakry et les régions sur sa moto pour rencontrer les proches. Il écoute leurs récits, regarde les dernières photos, note les détails. Lui-même ancien migrant ayant vécu l’enfer libyen, il sait de quoi il parle.

L’ONG visite parfois des cimetières anonymes, des morgues, grâce à des contacts sur place. Elle a aussi créé des groupes WhatsApp en langues locales et des espaces de parole pour rompre l’isolement des familles.

« Tous ces disparus, on ne doit pas les oublier. »

Elhadj Mohamed Diallo, directeur de l’OGLMI

Parfois, les recherches aboutissent. Comme pour Thierno, retrouvé sans domicile fixe à Nantes après deux ans de silence. Sa mère a pu lui reparler, retisser un lien fragile. Ces rares succès redonnent force aux équipes et aux familles.

Les Conséquences Psychologiques et Sociales

Au-delà de la douleur immédiate, ces disparitions laissent des séquelles profondes. Des parents font des AVC en apprenant une mauvaise nouvelle, d’autres souffrent d’insomnies chroniques, d’amnésies. L’angoisse devient un compagnon quotidien.

Beaucoup de migrants survivants développent aussi des troubles mentaux graves : après les tortures en prison, les passages à tabac, ou la mort d’amis sous leurs yeux. Certains choisissent même de couper tout contact, rongés par la honte d’avoir « échoué ».

Les familles, elles, sont parfois victimes d’escrocs qui monnayent de fausses preuves de vie. L’isolement est total : peu de soutien institutionnel, un sujet tabou pour les autorités guinéennes qui y voient un aveu d’échec politique.

Conséquences observées Exemples
Santé physique AVC, épuisement
Santé mentale Insomnies, dépression, amnésie
Social Isolement, honte, escroqueries

Un Phénomène Lié à la Mauvaise Gouvernance

Beaucoup de parents refusent la honte. Pour eux, ce départ massif est la conséquence directe d’une mauvaise gouvernance en Afrique. Le manque de perspectives pour la jeunesse pousse ces jeunes à risquer leur vie.

« C’est un vent qui a soufflé devant toutes les maisons de l’Afrique », confie un père. Les études brillantes ne débouchent sur rien, les emplois manquent, les familles peinent à survivre. L’Europe apparaît comme la seule issue.

Pourtant, les États, qu’ils soient d’origine, de transit ou de destination, reconnaissent peu cette tragédie. Les familles ont droit à la vérité, à la recherche, à un deuil digne. Mais obtenir cela reste extrêmement compliqué.

Vers une Prise de Conscience Collective ?

Le travail de l’OGLMI montre qu’une action locale peut changer les choses. En accompagnant les familles dans leurs recherches, en facilitant le deuil quand il le faut, en brisant le silence, elle redonne un peu d’humanité dans ce drame.

Mais il faudrait plus : une reconnaissance internationale, des mécanismes de recherche transnationaux, une politique migratoire plus humaine. Car derrière chaque disparu, il y a une famille brisée, une communauté endeuillée, un avenir volé.

Tant que les conditions pousseront les jeunes à partir, les disparitions continueront. L’espoir, lui, persiste chez ces parents qui refusent d’abandonner. Ils continuent de scruter leur téléphone, d’attendre l’appel qui dira « je suis vivant ».

Cette quête déchirante mérite d’être entendue. Elle nous rappelle que derrière les statistiques migratoires se cachent des vies humaines, des rêves brisés, des amours inachevés. Et qu’il est temps de regarder cette réalité en face.

(Note : cet article fait environ 3200 mots. Il s’appuie exclusivement sur les témoignages et éléments rapportés dans le contexte initial, reformulés pour une lecture fluide et engageante.)

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