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Noël à Antioche : Les Chrétiens Se Rassemblent Dans La Tristesse

Près de trois ans après le terrible séisme qui a ravagé Antakya, les chrétiens survivants se retrouvent pour Noël dans la grotte de Saint-Pierre. Une célébration empreinte d'émotion et de mélancolie, où les souvenirs du passé se mêlent à l'espoir fragile d'un avenir... Que ressentent-ils vraiment au milieu des ruines ?

Imaginez une ville autrefois vibrante, aujourd’hui enveloppée d’un voile de poussière grise. Des bâtiments fissurés, des rues jonchées de débris, et au milieu de ce paysage blessé, une petite communauté qui refuse de disparaître. C’est à Antakya, l’ancienne Antioche en Turquie, que les chrétiens se rassemblent pour Noël, près de trois ans après le séisme qui a tout changé.

Une Célébration Dans l’Ombre du Séisme

La nuit du 6 février 2023 reste gravée dans toutes les mémoires. Deux violentes secousses, dont l’une a atteint 7,8 sur l’échelle de Richter, ont dévasté le sud-est de la Turquie. La province de Hatay, et particulièrement Antakya, a été durement touchée. Des quartiers entiers réduits à néant, des milliers de vies perdues ou bouleversées.

Aujourd’hui, la ville porte encore les stigmates de cette catastrophe. Les pelleteuses travaillent sans relâche, les champs de ruines s’étendent à perte de vue. Une fine poussière recouvre tout, comme un symbole de cette tristesse persistante qui imprègne l’air.

Pour les chrétiens locaux, le choc a été double. Non seulement leurs maisons ont été détruites, mais leurs lieux de culte aussi. Les églises où ils se réunissaient autrefois sont devenues inaccessibles ou ont purement disparu sous les décombres.

La Grotte de Saint-Pierre, Refuge Historique

C’est dans ce contexte douloureux que la grotte de Saint-Pierre est devenue un point de ralliement précieux. Creusée dans la falaise, cette église rupestre est considérée comme la première de la chrétienté. C’est ici que Pierre, le disciple de Jésus, aurait tenu ses premières réunions religieuses au Ier siècle.

Au fil des siècles, la grotte a été agrandie, puis ornée d’une façade par les croisés au XIe siècle. Aujourd’hui classée musée, elle s’ouvre exceptionnellement pour les grandes occasions religieuses. Noël en fait partie.

En cette veille de fête, les familles convergent vers ce lieu chargé d’histoire. Elles cherchent à s’extraire, ne serait-ce que quelques heures, du quotidien marqué par la reconstruction et les souvenirs douloureux.

Depuis le séisme, notre communauté s’est dispersée, très peu sont encore là… ceux qui restent essaient de se regrouper. On avait chacun notre église, mais comme la mienne, elles ont été détruites.

Mari Ibri, fidèle d’Antakya

Ces mots résument la réalité d’une communauté profondément affectée. Avant la catastrophe, les célébrations étaient grandioses, les églises bondées. Désormais, le nombre de participants a drastiquement diminué.

Préparatifs Emplis d’Émotion

Alors que le soleil décline derrière un ciel voilé, les préparatifs commencent. Fadi Hurigil, président de la communauté chrétienne locale, et ses assistants installent l’autel de pierre. Ils disposent les cierges, les candélabres, l’huile sainte et les calices.

Quatre reproductions d’icônes du Christ et de saints sont placées au premier plan. Une bouteille de vin rouge et des corbeilles de pain complètent le décor. Des chaises en plastique et un système sonore sont mis en place pour accueillir les fidèles.

L’atmosphère est à la fois solennelle et empreinte de nostalgie. Les fidèles arrivent peu à peu, certains venus d’un peu plus loin, comme Iskenderun.

Parmi eux, Mari Ibri exprime un sentiment partagé par beaucoup :

Je me sens heureuse et triste à la fois. Parce qu’avant, Noël chez nous c’était grandiose. Nos églises étaient pleines, les gens arrivaient de partout. Aujourd’hui on est moins nombreux, le passé nous manque.

Un moment particulièrement émouvant survient quand la sono diffuse le son des cloches d’une église du centre-ville, aujourd’hui impraticable. Beaucoup se signent, les yeux humides.

Une Messe Chantée Dans la Grotte

Bientôt, une centaine de personnes se pressent à l’intérieur de la grotte, enveloppées dans les volutes d’encens. Autant restent sur le parvis. La mélopée lente des chants orthodoxes s’élève, marquant le début de l’office.

La cérémonie dure plus de deux heures. Elle est célébrée en arabe et en turc, intégralement chantée par le père Dimitri Dogum et un confrère. Les voix résonnent contre les parois millénaires, créant une acoustique unique.

Le père Dimitri Dogum souligne l’importance symbolique du lieu :

Bien sûr nous sommes émus ici, dans la première église-grotte du monde, là où se réunissaient les premiers disciples, où le nom de chrétiens a été donné pour la première fois. Tout ceci nous fait vivre des moments chargés d’émotion.

Il rappelle aussi la foule d’autrefois. En 2022, ils étaient au moins 750, chrétiens et non-chrétiens confondus. La catastrophe a tout changé.

Une Communauté Décimée

Le séisme a vidé Antakya de nombreux habitants. Pour la communauté chrétienne, le déclin est particulièrement marqué. Elle est passée de 350 familles à moins de 90.

Beaucoup ont quitté la région pour reconstruire leur vie ailleurs. Ceux qui restent font face à un quotidien difficile, entre reconstruction physique et émotionnelle.

Cette dispersion rend chaque rassemblement précieux. La grotte de Saint-Pierre offre un espace où l’on peut retrouver un semblant de normalité, de continuité avec le passé.

Les célébrations comme celle de Noël permettent de resserrer les liens, de partager les peines et les espoirs. C’est un acte de résistance douce face à l’adversité.

Après l’Office : Partage et Espoir

Sur l’esplanade dominant la ville et ses lumières vacillantes, des tables ont été dressées. Couvertes de nappes dentelées aux couleurs festives, elles attendent les fidèles à la sortie.

La sécurité est assurée par de nombreux policiers. Une inspection préalable avec chiens renifleurs a eu lieu. Pour les participants, c’est une mesure habituelle, liée à leur statut de minorité.

Un retraité venu d’Iskenderun commente calmement cette présence policière, la voyant comme une protection nécessaire.

Des cadeaux empaquetés attendent les enfants. À la fin de l’office, quand les chants de Noël retentissent, le père Dogum et Fadi Hurigil découpent un immense gâteau décoré d’une scène de la Nativité.

Ce moment de partage culinaire symbolise le retour progressif à la convivialité. Fadi Hurigil souligne l’importance de ces retrouvailles :

Il y a la dimension religieuse, mais c’est important aussi, les gens peuvent à nouveau se rassembler ici. Après le 6 février, nos concitoyens se sont complètement dispersés, tout le monde avait disparu. Mais ils commencent à revenir et le nombre de réunions familiales comme celles-ci également. Nous en sommes heureux.

Cette célébration n’est pas seulement religieuse. Elle est sociale, thérapeutique. Elle permet de panser les blessures collectives, de retrouver un sentiment d’appartenance.

Un Lieu Chargé d’Histoire et de Symbolisme

La grotte de Saint-Pierre n’est pas un simple refuge temporaire. C’est un site fondamental pour l’histoire du christianisme. Premier lieu où les disciples se sont réunis en secret, c’est ici que le terme « chrétiens » aurait été utilisé pour la première fois.

Dans ce contexte post-catastrophe, le symbolisme est encore plus fort. Les fidèles se sentent connectés aux premiers croyants qui affrontaient eux aussi l’adversité.

La résilience dont ils font preuve fait écho à celle des origines de leur foi. Persévérer, se rassembler malgré tout, transmettre les traditions aux générations suivantes.

Même si le nombre est réduit, la ferveur reste intacte. Les chants, les prières, l’encens créent une atmosphère qui transcende le présent douloureux.

Antakya : Une Ville En Reconstruction Lente

Près de trois ans après le drame, la reconstruction progresse lentement. De nombreux bâtiments restent abandonnés, leurs structures trop endommagées pour être sauvées.

La poussière omniprésente rappelle constamment la catastrophe. Elle s’infiltre partout, symbole de cette plaie encore ouverte.

Certaines familles commencent à revenir, attirées par leurs racines ou par l’espoir d’un renouveau. Mais le chemin est long, semé d’obstacles administratifs et financiers.

Pour la communauté chrétienne, le défi est aussi démographique. Maintenir une présence vivante dans une région où elle était déjà minoritaire.

L’Importance des Rassemblements Communautaires

Dans ce contexte, chaque événement comme cette messe de Noël prend une dimension particulière. Il ne s’agit pas seulement de célébrer une fête religieuse.

C’est l’occasion de se retrouver, de partager des souvenirs, de soutenir ceux qui ont tout perdu. Les enfants reçoivent des cadeaux, les adultes échangent des regards complices.

Le gâteau partagé, les tables dressées, tout cela recrée un peu de cette chaleur familiale qui manquait depuis le séisme.

Ces moments permettent aussi de transmettre la foi et les traditions. Malgré la dispersion, l’identité communautaire persiste.

Entre Tristesse et Espoir Fragile

Les émotions sont contrastées. La joie de Noël se mêle à la mélancolie du passé perdu. Les fidèles sont heureux de se retrouver, mais conscients de l’absence de tant d’autres.

Le père Dimitri Dogum et les responsables communautaires voient cependant des signes encourageants. Le retour progressif de certains, l’augmentation des rassemblements.

Cette célébration dans la grotte de Saint-Pierre incarne cette dualité. Un lieu ancien qui offre un ancrage dans l’histoire, face à une ville moderne blessée.

Elle montre que, même dans l’adversité la plus profonde, la foi et la solidarité peuvent perdurer. Que la lumière de Noël peut percer, même faiblement, à travers les nuages de poussière.

À Antakya, cette messe n’est pas qu’une cérémonie. C’est un acte de résilience, un message d’espoir adressé à l’avenir.

Résilience communautaire : Malgré la dispersion et les destructions, les chrétiens d’Antakya continuent de se rassembler, prouvant que les liens humains et spirituels peuvent résister aux catastrophes les plus violentes.

En cette période de fêtes, cette histoire rappelle combien la solidarité est précieuse. Comment, dans les moments les plus sombres, les traditions et la foi peuvent devenir des phares.

La grotte de Saint-Pierre, témoin silencieux de vingt siècles d’histoire, continue d’accueillir ceux qui cherchent un peu de lumière dans l’obscurité persistante.

Et peut-être qu’un jour, Antakya retrouvera sa vitalité d’antan. Que les églises seront reconstruites, que les familles seront à nouveau nombreuses. En attendant, ces célébrations modestes portent en elles tous les espoirs d’un renouveau.

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