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Disparus En Migration : L’Angoisse Des Familles Guinéennes

En Guinée, des milliers de jeunes partent clandestinement vers l'Europe, laissant derrière eux des familles plongées dans une angoisse infinie. Certaines apprennent le naufrage par un appel anonyme, d'autres scrutent des photos macabres sur WhatsApp. Mais une ONG locale change la donne en aidant à retrouver les traces... Que découvrent-elles vraiment ?

Imaginez recevoir un appel anonyme vous annonçant que votre enfant, parti chercher une vie meilleure en Europe, s’est noyé en mer. Sans corps, sans preuve tangible, juste des mots au téléphone. Comment accepter une telle nouvelle ? En Guinée, des milliers de familles vivent cette torture quotidienne, suspendues entre espoir ténu et deuil impossible.

Ces jeunes, pleins de rêves et de diplômes, quittent clandestinement leur pays, convaincus que l’avenir n’existe pas chez eux. Leurs traces s’effacent dans le désert, lors de rafles au Maghreb, en prison en Libye ou lors de naufrages en Méditerranée. Leurs parents, eux, restent figés dans l’attente, scrutant les réseaux sociaux à la recherche d’un signe de vie.

Le drame silencieux de la migration guinéenne

La Guinée est devenue ces dernières années l’un des principaux pays d’origine des migrants irréguliers d’Afrique de l’Ouest. Des milliers de jeunes tentent la périlleuse route vers l’Europe via le Maghreb. Beaucoup n’arrivent jamais à destination et disparaissent purement et simplement.

Ce phénomène touche toute la région, mais il prend une ampleur particulière en Guinée. Les familles se retrouvent souvent seules face à cette tragédie, sans soutien institutionnel réel. Le sujet reste tabou, tant au niveau national qu’international.

Des disparitions aux causes multiples

Les jeunes Guinéens disparaissent à différentes étapes de leur voyage. Certains avant même d’embarquer sur les frêles embarcations. D’autres lors de la traversée du désert, abandonnés par des passeurs sans scrupules.

Beaucoup sont victimes de rafles policières au Maroc ou en Algérie. D’autres croupissent dans des prisons libyennes dans des conditions inhumaines. Certains, enfin, échouent lors de la traversée maritime et se noient sans laisser de trace.

Il arrive aussi que des migrants, une fois arrivés en Europe, coupent volontairement les ponts avec leur famille. Rongés par la honte d’avoir échoué ou par les difficultés rencontrées, ils préfèrent disparaître plutôt que d’avouer leur échec.

L’angoisse quotidienne des familles

Pour les parents restés au pays, chaque jour est une épreuve. Ils écument Facebook à la recherche d’indices sur les lieux traversés par leur enfant. Ils regardent avec effroi les boucles WhatsApp diffusant des photos de cadavres non identifiés dans des morgues ou échoués sur des plages.

Sans corps à enterrer, le deuil est impossible. Les familles oscillent entre espoir irrationnel et désespoir profond. Certains parents consultent même des marabouts, espérant une réponse surnaturelle.

« Je sais que le bateau a coulé, mais on ne nous a pas montré son corps. Alors dire que mon fils est décédé, je ne sais pas… »

Cette phrase d’un père illustre parfaitement le calvaire vécu. L’absence de certitude empêche toute closure. Les familles restent suspendues dans un vide émotionnel destructeur.

Des conséquences psychologiques dévastatrices

Les impacts sur la santé mentale sont considérables. Des parents font des AVC en apprenant une mauvaise nouvelle. D’autres souffrent d’insomnies chroniques ou de crises d’amnésie.

L’isolement aggrave encore la situation. Dans un contexte où l’Europe durcit ses contrôles frontaliers et où les migrants sont criminalisés, les familles se sentent abandonnées. La tragédie des routes migratoires suscite souvent l’indifférence générale.

Certains parents décrivent un sentiment d’abandon total. Ils se sentent oubliés par leur propre pays et par la communauté internationale. Cette solitude rend le processus de deuil encore plus compliqué.

L’histoire d’Idrissa, un exemple poignant

Idrissa avait 28 ans quand il a tenté pour la quatrième fois de rejoindre l’Europe. Un jeune homme brillant, titulaire de masters, mais sans perspective d’emploi en Guinée. Il voulait soulager son père, chauffeur épuisé par des années de travail acharné.

Ses dernières photos montrent un visage souriant. Puis, en août 2024, l’appel fatidique : un bateau a chaviré au large du Maroc. Une survivante confirme qu’Idrissa était à bord. Mais aucun corps n’a été retrouvé.

Son père, Abdoul Aziz Baldé, reste dévasté. Il garde tous les diplômes de son fils dans son sac, comme un trésor inutile. Il rêve encore de ramener le corps pour un enterrement digne, même s’il sait au fond de lui que c’est probablement impossible.

D’autres parcours, mêmes souffrances

Abdou Karim, 25 ans aujourd’hui s’il était encore en vie, a disparu depuis mars 2023. Ses dernières traces remontent à novembre de la même année sur Facebook. Il avait tenté plusieurs fois la route via le Maroc, la Tunisie, la Libye.

Son père pense qu’il a pu être victime des rafles dans la forêt de Gourougou, près de Melilla. Un lieu connu pour la violence des forces de l’ordre envers les migrants subsahariens. Là-bas, des vies s’éteignent dans l’indifférence.

Aladji, parti en 2020, a disparu en Libye en 2021. Son père continue d’espérer, consultant régulièrement un marabout. La maison familiale reste inachevée, figée dans l’attente du retour du fils qui devait financer les travaux.

Une ONG apporte une lueur d’espoir

Depuis un an, l’Organisation guinéenne pour la lutte contre la migration irrégulière (OGLMI) mène un travail pionnier. Elle identifie les familles des disparus et les accompagne dans leurs recherches.

Son directeur, Elhadj Mohamed Diallo, sillonne Conakry et les régions sur sa moto. Il rencontre les familles, recueille informations et éléments d’identification. Ces données sont transmises à un réseau d’associations au Maghreb, en Europe et même jusqu’en Amérique.

L’ONG visite parfois des morgues ou des cimetières anonymes. Elle a créé des groupes de parole et des boucles WhatsApp en langues locales pour rompre l’isolement des familles.

« Sur 100 migrants qui partent, il y en aura au moins 10 qui ne reviendront pas. »

Cette estimation brutale d’Elhadj Mohamed Diallo donne la mesure du drame. Lui-même ancien migrant, il connaît les dangers de la route. Il a été détenu en Libye, vendu, agressé. Son expérience personnelle alimente sa détermination.

Des recherches qui aboutissent parfois

Parmi les histoires tragiques, certaines finissent sur une note positive. Thierno, disparu depuis deux ans, a été retrouvé vivant à Nantes, en France. Sans domicile fixe et en grande détresse psychologique, mais vivant.

Sa mère a pu lui reparler, retisser un lien fragile. Ces rares succès donnent de l’espoir aux autres familles et motivent l’ONG à poursuivre son travail malgré les difficultés.

Mais pour beaucoup, les recherches durent des années sans résultat. L’ONG accompagne alors les familles vers un travail de deuil nécessaire, même en l’absence de certitude.

Des chiffres terrifiants

Selon l’Organisation internationale des migrations, plus de 33 000 personnes sont mortes ou disparues en Méditerranée entre 2014 et 2025. Plus de 17 000 sur le continent africain. Ces chiffres sont largement sous-estimés.

Une ONG espagnole recense plus de 10 000 morts ou disparus rien que pour 2024 sur la route occidentale euro-africaine. Parmi eux, de nombreux Guinéens.

Dans certains villages, la moitié des jeunes ont disparu. Le phénomène prend une ampleur démographique préoccupante, vidant des communautés entières de leur jeunesse.

Réalités méconnues : Beaucoup de migrants développent des troubles mentaux graves suite aux violences subies. Tortures en Libye, passages à tabac au Maroc, traumatismes des naufrages… Les survivants sont souvent brisés psychologiquement.

Un tabou politique

En Guinée, le pouvoir en place depuis 2021 évite d’aborder publiquement le sujet. Reconnaître l’ampleur des disparitions reviendrait à admettre un échec en matière de développement et de protection des citoyens.

Les autorités invitent à la prudence avec le terme « disparus ». Beaucoup, selon elles, auraient simplement coupé les ponts par honte ou seraient en rétention. Elles affirment aider les familles dans les cas médiatisés.

Mais sur le terrain, les familles constatent souvent l’absence de suivi à leurs signalements. Le manque de reconnaissance officielle aggrave leur sentiment d’abandon.

Des droits bafoués

Les familles ont droit à la vérité. Les disparus ont droit à être recherchés. Les morts ont droit à une sépulture digne. Pourtant, ces droits élémentaires sont rarement respectés.

Que ce soit dans les pays d’origine, de transit ou de destination, la tragédie reste niée ou minimisée. Les États rechignent à reconnaître l’ampleur du drame humain.

Les familles sont parfois victimes d’escrocs profitant de leur détresse. Des individus leur vendent de fausses preuves de vie à prix d’or, prolongeant inutilement leur souffrance.

Vers une prise de conscience nécessaire

Le travail de l’OGLMI et d’autres associations commence à briser le silence. En accompagnant les familles, en documentant les cas, elles forcent peu à peu la reconnaissance du phénomène.

Il est temps que la communauté internationale prenne la mesure de cette tragédie. Que les États assument leurs responsabilités. Que les routes migratoires deviennent moins mortelles.

En attendant, des milliers de parents guinéens continuent de vivre dans l’attente. Gardant une photo, un message, un espoir fragile. Refusant d’oublier ceux qui sont partis pour leur offrir un avenir meilleur.

Cette migration désespérée est le symptôme d’un mal plus profond : l’absence de perspectives pour la jeunesse africaine. Tant que cette réalité ne changera pas, les bateaux continueront de partir. Et les familles de pleurer.

Mais grâce à des initiatives comme celle de l’OGLMI, ces familles ne sont plus totalement seules. Une lueur d’humanité persiste dans ce drame immense. Un rappel que derrière chaque statistique se cache une histoire humaine déchirante.

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