Imaginez un pays où un seul homme, issu des rangs de la police politique, parvient à concentrer entre ses mains les trois postes les plus puissants de l’État. C’est exactement ce qui est en train de se passer au Vietnam en ce début 2025.
Alors que le XIIIe congrès du Parti communiste vietnamien approche à grands pas, une annonce officielle vient de confirmer ce que beaucoup pressentaient : To Lam restera bien secrétaire général du parti, poste suprême dans ce pays à parti unique.
Une reconduction qui ne surprend plus vraiment
Le 10 décembre 2024, lors d’une réunion cruciale du comité central, les plus hauts dirigeants du Parti communiste vietnamien ont validé la liste des futurs membres du politburo et du comité central. Sans surprise, le nom de To Lam figure en tête.
« Aucun changement. Le chef du parti reste en poste pour garantir la stabilité », a confié une source proche des discussions. Une autre source a confirmé que To Lam devrait également cumuler la fonction de président de la République, poste qu’il avait déjà occupé brièvement entre mai et octobre 2024.
Cette reconduction marque la fin d’une période d’incertitude politique qui avait suivi le décès de Nguyen Phu Trong en juillet 2024. Le défunt secrétaire général avait régné pendant treize ans sur le pays avec une main de fer.
Le parcours atypique de To Lam
To Lam n’est pas un apparatchik classique. Pendant huit ans, de 2016 à 2024, il a dirigé le ministère de la Sécurité publique, un organisme qui joue un rôle central dans la surveillance et la répression de toute forme de dissidence.
C’est précisément cette expérience qui lui a permis de devenir l’homme de confiance du régime dans un contexte de lutte anticorruption sans précédent. Sa nomination au poste de secrétaire général en juillet 2024 n’a donc rien d’anodin.
« Nous continuerons à travailler ensemble dans l’unité et avec un grand sens des responsabilités et une grande efficacité, pour répondre aux attentes du parti et du peuple »
To Lam, discours du 10 décembre 2024
Cette phrase prononcée lors de la réunion du comité central résume parfaitement la ligne adoptée : continuité et stabilité avant tout.
La « révolution » administrative de To Lam
Depuis son arrivée au pouvoir, To Lam a lancé ce qu’il qualifie lui-même de « révolution » administrative. Une véritable refonte de l’appareil d’État qui touche tous les niveaux.
Parmi les mesures les plus spectaculaires :
- Réduction du nombre de ministères et agences gouvernementales de 30 à 22
- Diminution drastique du nombre d’administrations provinciales et municipales : de 63 à 34
- Suppression ou fusion de nombreuses structures administratives
- 147 000 fonctionnaires licenciés ou partis en retraite anticipée
- Coupes budgétaires dans les médias d’État, la fonction publique, la police et l’armée
Ces mesures, aussi impopulaires soient-elles auprès de certains, visent à rationaliser l’appareil d’État et à réduire les coûts de fonctionnement. Elles s’inscrivent dans une logique de modernisation de l’économie vietnamienne.
La campagne anticorruption : un bilan impressionnant
La lutte contre la corruption reste le marqueur principal du mandat de To Lam. Depuis 2021, la campagne dite « fournaise brûlante » a touché des dizaines de dirigeants politiques et d’hommes d’affaires.
Parmi les personnalités les plus haut placées visées :
- Deux anciens présidents de la République
- Trois anciens vice-Premiers ministres
- Des dizaines de chefs d’entreprises d’État
- De nombreux cadres du parti à différents niveaux
Cette campagne, bien que très médiatisée, soulève aussi des interrogations. Pour certains observateurs, elle sert également à éliminer les rivaux politiques potentiels.
Les grands chantiers économiques à venir
Le prochain congrès du parti, prévu du 19 au 25 janvier 2025, devrait définir les grandes orientations économiques pour les cinq prochaines années.
To Lam a déjà annoncé plusieurs priorités majeures :
- Accélérer les investissements dans les infrastructures
- Moderniser l’appareil productif
- Attirer davantage d’investissements étrangers
- Maintenir une croissance économique forte
- Renforcer la position du Vietnam dans les chaînes de valeur mondiales
Ces objectifs sont ambitieux, surtout dans un contexte international marqué par les tensions géopolitiques et les incertitudes économiques.
Un régime qui resserre son contrôle
La concentration des pouvoirs entre les mains de To Lam inquiète une partie des observateurs. Le cumul des fonctions de secrétaire général, président de la République et potentiellement Premier ministre crée un précédent inédit.
Le profil de To Lam, issu de la Sécurité publique, laisse également penser que le contrôle sur la société civile et les médias pourrait encore se renforcer.
Le Vietnam reste un pays où toute forme d’opposition organisée est systématiquement réprimée. Les dissidents, blogueurs et militants des droits humains continuent de faire l’objet de poursuites judiciaires.
Un leadership fort dans un monde incertain
Dans un contexte international de plus en plus instable, le choix d’un leadership fort et centralisé peut être perçu comme une réponse pragmatique.
Le Vietnam doit en effet jongler entre plusieurs partenaires économiques majeurs : États-Unis, Chine, Union européenne, Japon, Corée du Sud… tout en préservant sa souveraineté.
La stabilité politique devient alors un atout stratégique pour attirer les investisseurs qui recherchent des environnements prévisibles.
Les défis qui attendent To Lam
Malgré ces atouts, To Lam fait face à plusieurs défis de taille :
- Maintenir la cohésion au sein du parti après une campagne anticorruption aussi intense
- Gérer les tensions internes liées aux coupes budgétaires et aux suppressions de postes
- Préserver l’équilibre délicat entre la Chine et les États-Unis
- Accélérer la transition énergétique tout en maintenant une croissance forte
- Moderniser l’appareil productif face à la concurrence régionale
Les cinq prochaines années seront donc déterminantes pour savoir si To Lam parviendra à transformer le Vietnam en une puissance économique régionale tout en maintenant la stabilité politique du régime.
Un nouveau chapitre s’ouvre
Avec la reconduction de To Lam, le Vietnam entre dans une nouvelle ère politique. Celle d’un leadership fort, centralisé, qui mise sur la stabilité et la modernisation administrative pour assurer la croissance économique.
Reste à savoir si cette stratégie portera ses fruits et si elle sera acceptée par l’ensemble de la population vietnamienne, notamment les jeunes générations qui aspirent à plus de libertés.
Le prochain congrès du parti, en janvier 2025, permettra d’en savoir davantage sur les orientations précises que prendra le pays pour les années à venir.
Une chose est sûre : To Lam, l’ancien patron de la police politique, est désormais l’homme fort incontesté du Vietnam pour les cinq prochaines années.
À retenir : To Lam reste secrétaire général du Parti communiste vietnamien jusqu’en 2031 et devrait cumuler la présidence. Sa politique de réduction de la bureaucratie et de lutte anticorruption va se poursuivre, dans un contexte de renforcement du contrôle étatique.
Le Vietnam continue sa trajectoire singulière : un régime communiste qui mise sur l’ouverture économique tout en maintenant un contrôle politique strict. Un modèle qui, pour l’instant, semble porter ses fruits.









