Imaginez un journaliste qui reçoit une information sensible sur des affaires d’État. Il sait que publier cette révélation pourrait changer bien des choses, mais aussi mettre en danger la personne qui lui a fait confiance. Aujourd’hui, aux Comores, ce dilemme pourrait devenir encore plus périlleux.
Un nouveau code de l’information qui inquiète profondément les professionnels
Le syndicat national des journalistes comoriens a tiré la sonnette d’alarme. Un projet de loi sur l’information, en cours d’examen à l’Assemblée, introduit une disposition qui change radicalement les règles concernant le secret des sources.
Jusque-là, la législation en vigueur protégeait fermement les journalistes : aucune autorité publique ne pouvait les contraindre à révéler leurs informateurs. Le nouveau texte modifie cette donne de manière significative.
Désormais, un journaliste pourrait être obligé de divulguer ses sources sur décision judiciaire motivée, dans des cas exceptionnels prévus par la loi. Ce qui apparaît comme une nuance pourrait en réalité ouvrir une brèche importante.
Une protection affaiblie au cœur du métier
Le président du syndicat des journalistes comoriens, Ahmed Bacar, n’a pas mâché ses mots. Pour lui, cette modification représente un affaiblissement grave de la profession.
Cette modification constitue un affaiblissement grave de la profession journalistique.
Ahmed Bacar, président du syndicat des journalistes comoriens
Il insiste sur le fait que la confidentialité des sources est un pilier fondamental de la liberté de la presse. Sans cette garantie solide, les informateurs risquent de se taire, craignant des représailles.
En fragilisant ce principe, le texte pourrait transformer l’exception en règle courante. Les journalistes pourraient alors hésiter à enquêter sur des sujets sensibles, par peur de devoir trahir leurs sources.
Cette crainte n’est pas théorique. Dans de nombreux pays, des dispositions similaires ont conduit à une augmentation des pressions sur les médias et à une réduction de l’information indépendante.
Le contexte presse aux Comores : un classement préoccupant
L’archipel des Comores, situé dans l’océan Indien et peuplé d’environ 870 000 habitants, occupe une place modeste dans le classement mondial de la liberté de la presse.
Avec sa 75e position sur 180 pays, selon l’ONG Reporters sans frontières, le pays se situe dans la moyenne basse. Ce rang reflète déjà des difficultés récurrentes pour les professionnels de l’information.
Dans ce contexte, toute réforme qui affaiblit les protections existantes apparaît comme particulièrement risquée. Elle pourrait faire reculer encore davantage la qualité et l’indépendance de l’information.
À retenir : La confidentialité des sources n’est pas un privilège corporatiste, mais une condition essentielle pour que les citoyens soient correctement informés sur les affaires publiques.
Des critiques venues même des rangs du pouvoir
Le projet de loi semble acquis d’avance. La quasi-totalité des députés appartient à la majorité présidentielle, ce qui laisse peu de place au suspense quant à son adoption avant la fin de l’année.
Cependant, des voix critiques se sont élevées, y compris au sein même du camp au pouvoir. Ahmed Ali Amir, conseiller spécial à la Communication de la présidence jusqu’au début de l’année prochaine, a exprimé des réserves publiques.
Si elle n’est pas strictement exceptionnelle, proportionnée et clairement encadrée, la disposition risque d’instaurer une pression indirecte sur les journalistes, d’encourager l’autocensure et d’affaiblir durablement l’indépendance de l’information.
Ahmed Ali Amir, conseiller spécial à la Communication
Cette prise de position interne montre que le débat dépasse les clivages traditionnels. Elle souligne la gravité potentielle des conséquences pour l’ensemble du paysage médiatique comorien.
Même un haut responsable proche du pouvoir reconnaît le danger d’une autocensure généralisée. Cela pourrait priver la population d’informations cruciales sur la gestion des affaires publiques.
L’appel direct au gouvernement
Fin de la semaine dernière, le syndicat des journalistes s’est adressé directement à la ministre de l’Information. Ancienne journaliste elle-même, elle est à l’origine du projet de loi.
Les professionnels lui ont demandé publiquement d’œuvrer pour maintenir une protection pleine et entière des sources journalistiques. Cet appel traduit une réelle inquiétude au sein de la corporation.
Il met aussi en lumière le paradoxe : une ancienne journaliste propose aujourd’hui une réforme qui pourrait limiter les droits qu’elle a elle-même exercés durant sa carrière.
Le parcours politique du président Azali Assoumani
Pour comprendre le contexte global, il faut revenir sur le parcours du chef de l’État comorien. Ancien chef d’état-major de l’armée, Azali Assoumani a pris le pouvoir en 1999 par un coup d’État militaire.
Élu en 2002, il avait ensuite remis le pouvoir civil en 2006, avant de revenir aux affaires par les urnes en 2016, puis en 2019 et enfin en 2024.
Son dernier scrutin a été particulièrement contesté. Il a été suivi de manifestations qui ont duré deux jours et se sont soldées par des pertes humaines.
Ses opposants lui reprochent un autoritarisme croissant. Dans cet archipel de trois îles situé dans le canal du Mozambique, le président cumule les fonctions de chef de l’État et de chef du gouvernement.
Cette concentration des pouvoirs alimente les craintes quant à l’indépendance des institutions, y compris judiciaires. Dans ce cadre, une décision judiciaire obligeant à révéler une source pourrait être perçue comme un outil politique.
Les risques concrets pour la démocratie
La confidentialité des sources n’est pas qu’une question technique. Elle touche au cœur du fonctionnement démocratique.
Sans protection solide, les lanceurs d’alerte hésiteront à parler. Les citoyens seront moins informés sur les dysfonctionnements, les abus ou les scandales.
À terme, cela peut affaiblir la confiance dans les institutions et favoriser un climat où seule l’information officielle circule librement.
- Moins de révélations sur la corruption ou les malversations
- Augmentation de l’autocensure chez les journalistes
- Réduction de la pluralité des points de vue dans les médias
- Renforcement du contrôle narratif par le pouvoir en place
Ces conséquences ne sont pas hypothétiques. Elles ont été observées dans d’autres pays ayant adopté des dispositions similaires.
Pourquoi cette réforme arrive-t-elle maintenant ?
La question du timing interpelle. Le projet arrive en fin d’année, dans un contexte post-électoral encore tendu.
Certains y voient une volonté de consolider le contrôle sur l’information à un moment où les critiques pourraient être plus vives.
D’autres estiment qu’il s’agit d’une modernisation nécessaire du cadre légal, même si la méthode choisie soulève des interrogations.
Quoi qu’il en soit, le débat est lancé et les journalistes comoriens restent mobilisés pour défendre ce qu’ils considèrent comme un acquis essentiel de leur métier.
Vers une adoption inévitable ?
Avec une majorité parlementaire écrasante, l’adoption du texte semble acquise. Les députés de l’opposition sont en minorité numérique.
Cependant, les critiques publiques, même venues de l’intérieur du pouvoir, pourraient pousser à des amendements de dernière minute.
Les prochaines semaines seront décisives. Les professionnels de l’information espèrent que leurs arguments seront entendus avant le vote final.
L’avenir de la presse comorienne se joue peut-être en ce moment précis. Une presse libre et protégée est indispensable pour que les citoyens exercent pleinement leur droit à l’information.
Dans cet archipel magnifique mais politiquement complexe, la bataille pour la confidentialité des sources est aussi une bataille pour la démocratie.
La liberté de la presse ne se négocie pas. Elle se défend au quotidien, par des lois protectrices et par le courage des journalistes qui osent enquêter malgré les risques.
Les prochains développements seront à suivre de près. Espérons que le législateur saura préserver ce qui fait la force d’une presse indépendante : la confiance absolue entre le journaliste et ses sources.
Car sans cette confiance, c’est toute la société qui perd une partie de sa capacité à se connaître et à se réformer.









