Imaginez-vous réveillé en pleine nuit par des coups violents contre votre porte. Des forces de l’ordre vous somment de quitter immédiatement votre domicile, sans pouvoir emporter vos meubles ni la plupart de vos affaires. Quelques heures plus tard, des bulldozers rasent l’immeuble où vous avez vécu pendant des années. Cette scène, digne d’un cauchemar, est devenue réalité pour près d’une centaine de Palestiniens dans le quartier de Silwan, à Jérusalem-Est.
Une démolition massive qui marque les esprits en 2025
Ce lundi matin, le bruit assourdissant des machines a envahi les rues étroites de Silwan. Trois bulldozers, protégés par un important dispositif sécuritaire, ont entrepris la destruction d’un immeuble de quatre étages. Selon des organisations spécialisées dans le suivi de ces opérations, il s’agit de la plus importante démolition réalisée cette année dans cette partie de la ville.
Les habitants, parmi lesquels de nombreux enfants et personnes âgées, ont été évacués de force. Beaucoup n’ont eu que le temps de s’habiller et de saisir leurs documents essentiels. Le reste de leurs biens est resté à l’intérieur, condamné à disparaître sous les chenilles des engins.
Une femme, les yeux fixés sur les machines, murmurait avec désespoir que les bulldozers étaient en train de détruire sa chambre à coucher. Cette image résume le sentiment d’impuissance qui régnait sur place.
Le témoignage poignant des familles expulsées
Eid Shawar, père de cinq enfants et âgé de 38 ans, raconte comment la police a défoncé sa porte au petit matin. Les agents lui ont ordonné de se préparer rapidement et de ne prendre que le strict nécessaire. Interdiction formelle d’emporter les meubles ou les objets encombrants.
Il décrit des moments de tension lorsque certains résidents ont tenté de s’opposer aux employés venus emballer hâtivement les vêtements. « C’est une tragédie », confie-t-il simplement, le visage marqué par le choc.
Ils nous ont dit de nous changer et de prendre seulement papiers et documents importants. On n’a pas été autorisé à prendre nos meubles.
Eid Shawar, résident expulsé
Un autre habitant, Achraf Skafi, observait la scène depuis la rue. Son frère vivait dans cet immeuble. Il déplore que les familles n’aient pas pu récupérer leurs affaires personnelles avant que les bulldozers ne commencent leur travail. Tout a été enseveli sous les décombres.
Ces témoignages humains mettent en lumière le traumatisme immédiat vécu par ces familles. En quelques heures, des vies entières construites sur plus d’une décennie se sont effondrées littéralement.
Les arguments officiels de la municipalité
Du côté des autorités municipales de Jérusalem, l’opération est présentée comme l’exécution d’une décision judiciaire ancienne. L’immeuble aurait été construit sans les permis requis, sur un terrain destiné à un usage récréatif et sportif plutôt que résidentiel.
Un ordre de démolition aurait été émis dès 2014. Selon les responsables, plusieurs reports ont été accordés au fil des années et des solutions alternatives proposées aux occupants. La démolition n’aurait donc rien de soudain ou d’arbitraire.
Cette version contraste fortement avec celle des résidents et des associations qui dénoncent un manque de préavis. Une réunion était même prévue le jour même entre l’avocat des familles et un responsable municipal pour explorer des possibilités de régularisation.
Un quartier sous tension permanente
Silwan est un quartier emblématique des tensions à Jérusalem-Est. Situé près de la vieille ville, il abrite environ 50 000 Palestiniens mais aussi plusieurs centaines de colons israéliens installés depuis les années 1980.
Les maisons des implantations se reconnaissent facilement : drapeaux israéliens flottant aux fenêtres, systèmes de caméras de surveillance renforcés. Cette coexistence forcée génère un climat de suspicion et de conflits réguliers.
La présence de ces implantations au cœur de quartiers palestiniens majoritaires alimente les accusations de tentative de modification démographique. Les démolitions sont perçues comme un outil parmi d’autres dans cette stratégie.
Contexte historique rapide : Jérusalem-Est a été occupée par Israël en 1967 puis annexée. Cette annexion n’est pas reconnue par la communauté internationale qui considère ce secteur comme territoire occupé. Les Palestiniens revendiquent Jérusalem-Est comme capitale de leur futur État.
Des pratiques dénoncées par les associations
Des organisations israéliennes spécialisées dans les droits humains et l’urbanisme critiquent vivement ces opérations. Elles estiment que la designation de terrains comme espaces publics ou parcs nationaux sert souvent à justifier l’expulsion de populations palestiniennes.
Le système d’octroi de permis de construire serait particulièrement discriminatoire. Les Palestiniens de Jérusalem-Est se verraient systématiquement refuser les autorisations nécessaires, les poussant à construire sans permis pour répondre à leurs besoins logement.
Les démolitions servent ensuite d’outil pour contrôler la terre, déplacer des communautés, et nier aux Palestiniens leur droit au logement dans leur propre ville.
Une architecte spécialisée dans ces questions
Cette analyse pointe vers une politique plus large visant à modifier l’équilibre démographique de Jérusalem-Est au profit de la population israélienne.
Un phénomène qui dépasse Silwan
Cette démolition n’est pas un cas isolé. Tout au long de l’année 2025, de nombreuses familles palestiniennes ont été expulsées à Jérusalem-Est et en Cisjordanie occupée. Les motifs invoqués varient : absence de permis, opérations militaires, ou encore décisions judiciaires anciennes.
Les autorités palestiniennes dénoncent une politique systématique de déplacements forcés visant à vider Jérusalem de ses habitants originels. Cette accusation est récurrente depuis des années mais semble s’être accentuée dans le contexte actuel.
Israël, de son côté, considère l’ensemble de Jérusalem comme sa capitale indivisible. Toute construction non autorisée est donc traitée comme une infraction, indépendamment de la nationalité ou de l’origine des occupants.
Le contexte régional tendu
Les tensions à Jérusalem-Est se sont particulièrement exacerbées depuis les événements du 7 octobre. L’attaque menée ce jour-là a déclenché une guerre à Gaza qui continue d’avoir des répercussions dans toute la région.
Dans ce climat, chaque incident local prend une dimension plus large. Les démolitions sont perçues par certains comme une réponse sécuritaire, par d’autres comme une opportunité pour avancer des objectifs démographiques.
Récemment, de nouvelles implantations ont été approuvées en Cisjordanie, officiellement pour empêcher la création d’un État palestinien continu. Ce type de décision renforce le sentiment chez les Palestiniens d’une politique coordonnée sur l’ensemble des territoires.
La position de la communauté internationale
Les Nations unies et de nombreux pays considèrent l’annexion de Jérusalem-Est comme illégale au regard du droit international. Les colonies en Cisjordanie occupée sont également jugées contraires aux conventions internationales.
Cette position n’a cependant pas empêché la poursuite des démolitions et des expulsions. Le fossé entre les résolutions internationales et la réalité sur le terrain reste béant.
Pour les familles directement touchées, ces débats géopolitiques semblent bien abstraits face à la perte concrète de leur logement.
Vers quelles solutions possibles ?
La question du logement à Jérusalem-Est reste explosive. D’un côté, un besoin réel et urgent de places pour les familles palestiniennes en croissance. De l’autre, un contrôle strict des constructions par les autorités israéliennes.
Certaines associations proposent une réforme profonde du système de permis pour le rendre plus équitable. D’autres plaident pour un gel total des démolitions le temps de trouver des solutions négociées.
Mais dans l’immédiat, les familles de Silwan doivent trouver un toit provisoire. Leurs affaires ensevelies sous les gravats, elles entament une nouvelle période d’incertitude et de précarité.
Cette démolition, au-delà de son ampleur, symbolise les difficultés quotidiennes vécues par les Palestiniens de Jérusalem-Est. Elle rappelle que derrière les grands titres géopolitiques se cachent des drames humains profonds, des familles déracinées et des vies bouleversées en quelques heures.
Le nuage de poussière soulevé par les bulldozers finit par retomber. Mais les questions qu’il soulève, elles, restent suspendues dans l’air lourd de Silwan.









