À quelques jours seulement d’une élection présidentielle présentée comme le point final d’une transition militaire, un nouveau rapport vient jeter une ombre très sombre sur la Guinée. Des organisations de la société civile réunies au sein d’un collectif international accusent directement les forces de défense et de sécurité d’avoir causé la mort d’au moins 70 personnes entre 2022 et 2025, principalement lors de manifestations violemment réprimées. Ce document, publié à la veille du scrutin, soulève des questions graves sur la réalité du respect des droits humains sous la direction du général Mamadi Doumbouya.
Une transition qui s’éternise dans la violence
Depuis le coup d’État du 5 septembre 2021 qui a renversé le président Alpha Condé, la Guinée est dirigée par une junte militaire dirigée par le colonel puis général Mamadi Doumbouya. Promis comme une période transitoire devant aboutir rapidement à un retour des civils au pouvoir, ce régime militaire est aujourd’hui accusé d’avoir transformé cette transition en un véritable verrouillage autoritaire.
Le rapport récemment publié par le collectif Tournons la page dresse un bilan particulièrement sombre de ces quatre années. Selon les auteurs, au moins 70 personnes ont perdu la vie aux mains des forces de défense et de sécurité entre 2022 et 2025, la grande majorité lors de rassemblements populaires.
70 morts, zéro enquête indépendante
Le chiffre de 70 victimes n’est pas une estimation à la légère. Il résulte d’un travail minutieux de recoupement : témoignages anonymisés, analyses de sources jugées fiables et vérifications croisées. Ce bilan, aussi alarmant soit-il, reste selon les auteurs un minimum, car de nombreux cas n’ont pu être documentés avec certitude.
Ce qui choque particulièrement les rédacteurs du rapport, c’est l’absence totale d’enquêtes indépendantes, transparentes et crédibles sur ces décès. Aucune commission d’enquête n’a été mise en place, aucune poursuite judiciaire n’a été engagée contre les responsables présumés. Cette impunité est au cœur des accusations portées contre la junte.
« Entre 2022 et 2025, au moins 70 personnes ont été tuées par les forces de défense et de sécurité, sous la direction du général Mamadi Doumbouya, sans qu’aucune enquête indépendante, transparente et crédible n’ait été ouverte. »
Cette phrase résume l’essentiel du grief : la répression létale combinée à l’impunité totale.
Manifestations interdites : un droit fondamental bafoué
Depuis 2022, les autorités ont purement et simplement interdit les manifestations publiques. Cette mesure, officiellement justifiée par des raisons de sécurité, est perçue par la société civile comme un moyen de museler toute contestation populaire.
Chaque tentative de rassemblement, même pacifique, se heurte à une réponse extrêmement dure : gaz lacrymogènes, balles réelles, arrestations massives. C’est dans ce contexte que se sont produites la majorité des victimes recensées par le rapport.
Les Guinéens qui descendent dans la rue pour exprimer leur colère ou leurs revendications politiques le font donc au péril de leur vie. Cette interdiction de facto du droit de manifester constitue, selon les organisations, une violation majeure des libertés publiques.
Un espace civique qui se referme inexorablement
Au-delà des morts lors des manifestations, le rapport pointe une répression beaucoup plus large et systématique visant les voix dissidentes. Arrestations arbitraires, détentions prolongées sans jugement, disparitions forcées, actes de torture, exils forcés : la liste des griefs est longue.
- Multiples arrestations et détentions arbitraires de militants et d’opposants
- Disparitions forcées documentées, dont deux cas particulièrement médiatisés
- Actes de torture signalés dans plusieurs lieux de détention
- Pression extrême poussant de nombreux acteurs politiques et de la société civile à l’exil
- Fermeture progressive de l’espace civique : interdiction de réunions, censure accrue
Le rapport parle explicitement d’une « chasse à l’homme » organisée contre toute personne osant critiquer ouvertement la junte.
Deux figures emblématiques disparues depuis juillet 2024
Parmi les cas les plus préoccupants figurent les disparitions forcées d’Oumar Sylla (connu sous le pseudonyme de Foniké Menguè) et de Mamadou Billo Bah. Ces deux militants de la société civile, très actifs dans la défense d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel, ont été enlevés à leur domicile en juillet 2024.
Depuis cette date, aucune information officielle n’a été donnée sur leur sort. Leur disparition a suscité une très vive émotion dans le pays et à l’international, et constitue aujourd’hui l’un des symboles les plus forts de la répression en cours.
« En quatre années de gestion de la transition, les autorités militaires sont impliquées dans de multiples infractions pénales. »
Cette phrase du rapport illustre bien la gravité des accusations portées contre la junte.
Une présidentielle sous tension
Ce rapport intervient à quelques jours seulement de l’élection présidentielle du 22 décembre 2025. Ce scrutin est censé marquer la fin officielle de la transition et le retour à un régime civil. Pourtant, la campagne s’est déroulée dans un climat très tendu.
Le général Mamadi Doumbouya, devenu candidat, se présente sans véritable opposant d’envergure. De nombreux leaders politiques ont été soit emprisonnés, soit contraints à l’exil, soit ont choisi de boycotter le scrutin.
Dans ce contexte, la publication de ce rapport risque d’alourdir encore davantage l’atmosphère déjà très pesante qui entoure ce scrutin historique.
Un appel à la communauté internationale
Les organisations signataires du rapport appellent la communauté internationale à exercer une pression forte sur les autorités guinéennes pour qu’elles mettent fin à ces violations graves et récurrentes des droits humains.
Elles demandent notamment :
- L’ouverture immédiate d’enquêtes indépendantes sur toutes les personnes tuées depuis 2022
- La libération des détenus politiques
- La fin des disparitions forcées et des actes de torture
- La levée des interdictions de manifester
- Le rétablissement d’un véritable espace civique
La question désormais posée est de savoir si la communauté internationale, qui avait dans un premier temps salué le coup d’État de 2021, acceptera de regarder en face la réalité de la situation actuelle en Guinée.
Un avenir incertain pour la Guinée
Alors que les Guinéens se préparent à se rendre aux urnes, le pays se trouve à un carrefour historique. L’élection de dimanche prochain peut soit marquer le véritable retour à un régime démocratique, soit au contraire entériner un autoritarisme durable sous des habits civils.
Le rapport publié par le collectif Tournons la page vient rappeler avec force que la transition militaire, loin d’avoir apporté la stabilité promise, a engendré une répression d’une ampleur et d’une violence rarement vues dans l’histoire récente du pays.
Dans les jours et les semaines à venir, l’attention du monde entier sera tournée vers la Guinée. Les résultats du scrutin et surtout les réactions des autorités face aux accusations très graves qui pèsent sur elles détermineront en grande partie le sort du pays pour les années à venir.
Une chose est sûre : la Guinée traverse l’une des périodes les plus critiques de son histoire contemporaine. L’avenir dira si elle saura enfin tourner la page de la violence et de l’impunité, ou si cette page restera définitivement ouverte.









