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Les Blessures Ineffaçables de la Guerre dans l’Est de la RDC

À Goma, des centaines de civils portent dans leur chair les stigmates d'une guerre qui n'en finit pas. David, jeune berger, a perdu un bras et une jambe dans une explosion. Au centre Shirika la Umoja, il pédale avec espoir pour retrouver une vie normale. Mais alors que la guerre produit toujours plus d'amputés...

Imaginez un instant : vous gardez tranquillement vos vaches dans un village paisible, et soudain, une explosion change votre vie à jamais. Un bras arraché, une jambe emportée. C’est la réalité brutale qu’ont vécue des centaines d’habitants de l’est de la République démocratique du Congo ces dernières années.

Les cicatrices invisibles d’un conflit sans fin

Dans la province du Nord-Kivu, la guerre n’est pas qu’un mot lointain relayé par les médias. Elle marque les corps et les esprits de manière irréversible. À Goma, ville tombée sous le contrôle du mouvement rebelle M23 il y a près d’un an, les centres de réhabilitation accueillent quotidiennement de nouvelles victimes d’amputations causées par les bombes, les balles ou les engins explosifs.

Ces blessures ne sont pas seulement physiques. Elles transforment radicalement l’existence de ceux qui les subissent, les obligeant à réapprendre les gestes les plus simples de la vie quotidienne.

L’histoire de David, berger devenu amputé

David Muhire a 25 ans. Ce jeune homme menait une vie tranquille dans son village de Bwiza, dans le territoire de Rutshuru. Il faisait paître ses vaches quand un engin explosif a détoné près de lui. En un instant, il a perdu son bras droit et sa jambe droite. Son compagnon, un autre paysan, n’a pas survécu.

Aujourd’hui, allongé sur un tapis dans un centre de réhabilitation à Goma, David soulève péniblement sa cuisse sous la supervision d’un soignant. Des poids sont posés sur sa jambe pour intensifier l’effort. Chaque mouvement est une victoire sur la douleur et le handicap.

Malgré tout, l’espoir reste intact. « Nous allons recevoir des prothèses et nous espérons reprendre bientôt une vie normale », confie-t-il avec une détermination touchante.

Nous allons recevoir des prothèses et nous espérons reprendre bientôt une vie normale.

David Muhire, victime amputée

Un centre dédié à la reconstruction physique et morale

Le centre Shirika la Umoja, à Goma, est spécialisé dans la prise en charge des personnes handicapées physiques, particulièrement les amputés. Plus de 400 victimes y ont été accueillies rien que cette année, selon les organisations qui le soutiennent.

Dans une salle voisine, l’ambiance est plus dynamique. Des patients, adultes et enfants, pédalent sur des vélos stationnaires ou se lancent une balle. Certains avancent en clopinant sur une seule jambe, d’autres testent déjà leur nouvelle prothèse en plastique.

Les enfants, en particulier, touchent par leur capacité à s’adapter. Ils jouent, rient parfois, malgré la gravité de leurs blessures. C’est une leçon de résilience qui force l’admiration.

Wivine Mukata, orthoprothésiste au centre, explique la difficulté du processus : « Il n’est jamais facile d’accepter une amputation. » Son rôle est essentiel pour aider les patients à franchir cette étape psychologique autant que physique.

L’atelier où naissent les nouveaux membres

Le centre dispose d’un atelier de fabrication de prothèses et d’orthèses. C’est là que les techniciens redonnent une forme de mobilité aux patients. Pieds artificiels, mains, barres métalliques : tout est façonné sur place.

Le processus est précis. Les plaques de plastique sont chauffées dans un four jusqu’à devenir malléables, puis moulées autour du moignon du patient avant de refroidir et durcir. Chaque prothèse est unique, adaptée à la morphologie de son futur porteur.

Malheureusement, les ressources manquent souvent. Matériaux importés, techniciens qualifiés : tout est en quantité limitée dans cette région en proie à l’instabilité.

Les défis quotidiens de l’atelier :

  • Approvisionnement irrégulier en matériaux
  • Pénurie de personnel formé
  • Augmentation constante du nombre de patients
  • Contraintes logistiques dues à l’insécurité

Une augmentation alarmante des amputations

Les chiffres sont éloquents et glaçants. Plus de 800 victimes de blessures par armes, mines ou munitions non explosées ont été prises en charge cette année dans les centres soutenus par des organisations humanitaires dans l’est du pays.

Sylvain Syahana, responsable administratif du centre, observe une évolution préoccupante. Il y a vingt ans, environ 50 % des patients amputés l’étaient à cause de blessures par balles. Aujourd’hui, ce chiffre atteint 80 %.

« Cela montre clairement que plus la guerre se poursuit, plus il y a de victimes », déplore-t-il. Il va plus loin en qualifiant le conflit d’« industrie de fabrication de personnes amputées ».

Nous vivons avec la guerre depuis longtemps.

Sylvain Syahana, responsable du centre

Cette phrase résume à elle seule la lassitude et la tristesse d’une population qui subit les cycles incessants de violence depuis trois décennies.

Un conflit enraciné dans l’histoire et les ressources

L’est de la République démocratique du Congo est une région riche en minerais précieux. Cette richesse attire les convoitises et alimente les conflits depuis les années 1990. Des dizaines de groupes armés s’y disputent le contrôle du territoire.

Le M23, soutenu par le Rwanda voisin selon de nombreuses accusations, a intensifié ses offensives ces dernières années. Les combats ont atteint les abords des villages ruraux, puis les grandes villes comme Goma et Bukavu.

Même après la signature récente d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda, sous médiation internationale, les hostilités persistent. Début décembre, une nouvelle offensive a visé la cité d’Uvira, près de la frontière burundaise.

Ces sursauts de violence continuent d’engendrer morts et blessés, prolongeant le calvaire des populations civiles.

La réhabilitation : un chemin long et semé d’embûches

Accepter l’amputation est la première épreuve. Vient ensuite l’apprentissage de la prothèse, les séances de kinésithérapie, la reconstruction psychologique. Chaque étape demande du temps et de la persévérance.

Pour les enfants, le défi est double : grandir avec un handicap dans un environnement déjà précaire. Pourtant, dans les salles de réhabilitation, on les voit progresser, retrouver peu à peu une forme d’autonomie.

Les adultes, comme David, doivent repenser leur avenir professionnel. Un berger sans bras ni jambe droite peut-il encore exercer son métier ? La question est douloureuse, mais la détermination pousse à chercher des solutions.

Les centres comme Shirika la Umoja jouent un rôle crucial. Créé il y a une soixantaine d’années par une association humanitaire, il continue d’offrir un espoir concret à des centaines de personnes chaque année.

Derrière les chiffres, des vies brisées

Derrière chaque statistique se cache une histoire humaine. Un père qui ne peut plus porter ses enfants. Une mère incapable de cultiver son champ. Un enfant privé de jeux avec ses camarades.

Les amputations ne sont pas seulement la perte d’un membre. Elles entraînent souvent isolement social, précarité économique, dépression. La prise en charge doit donc être globale : physique, psychologique, sociale.

Dans l’est de la RDC, la guerre a créé une génération marquée dans sa chair. Ces survivants portent le témoignage vivant d’un conflit qui, malgré les accords et les médiations, refuse de s’éteindre.

Leur courage quotidien, dans les centres de réhabilitation, rappelle que même au cœur des ténèbres, l’espoir persiste. Mais cet espoir a un prix : celui d’une paix durable qui tarde à venir.

La guerre dans l’est de la RDC en quelques points clés :

  • Conflit armé depuis plus de 30 ans
  • Région riche en ressources minières
  • Multiples groupes rebelles actifs
  • Des milliers de morts et blessés civils
  • Augmentation des amputations liées aux combats directs
  • Efforts humanitaires constants mais insuffisants

Face à cette réalité, la communauté internationale continue de chercher des solutions. Mais sur le terrain, ce sont les soignants, les techniciens et surtout les patients eux-mêmes qui portent le poids de la reconstruction.

Leur résilience force le respect. Elle nous rappelle aussi l’urgence d’une paix réelle, qui ne se limite pas à des signatures sur papier, mais qui change véritablement la vie des populations.

À Goma comme ailleurs dans l’est du pays, chaque prothèse posée, chaque pas retrouvé, est une petite victoire sur la barbarie de la guerre.

Mais combien de vies devront encore être marquées avant que ce conflit ne s’arrête définitivement ?

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