Imaginez un convoi de camions chargés de barils jaunes traversant discrètement le désert du Sahara, sous un ciel brûlant. Ces barils contiennent de l’uranium, une ressource stratégique convoitée par les grandes puissances. Au Niger, l’un des plus grands producteurs mondiaux, une partie de cette précieuse matière a récemment disparu d’un site minier, déclenchant une enquête judiciaire en France pour vol en bande organisée.
Cette affaire illustre parfaitement les tensions géopolitiques qui secouent l’Afrique de l’Ouest depuis plusieurs années. Elle met en lumière le bras de fer entre un pays cherchant à reprendre le contrôle de ses richesses et d’anciens partenaires occidentaux.
Une enquête ouverte à Paris pour un vol aux ramifications internationales
Le parquet de Paris a confirmé l’ouverture d’une enquête pour vol en bande organisée, avec une circonstance aggravante particulièrement grave : le but de servir les intérêts d’une puissance étrangère. Cette procédure fait suite à la disparition d’une quantité importante d’uranium sur un site situé à Arlit, dans le nord du Niger.
L’enquête a été confiée à la Direction générale de la sécurité intérieure, signe que les autorités françaises prennent l’affaire très au sérieux. On parle potentiellement d’un détournement à grande échelle, dans un contexte où l’uranium reste une matière hautement sensible, utilisée tant dans l’énergie civile que dans des applications militaires.
Ce n’est pas un simple vol de marchandises. L’uranium en question provient d’une mine qui était jusqu’à récemment exploitée par une entreprise française majeure dans le secteur nucléaire. La disparition intervient dans un climat de rupture brutale entre Niamey et Paris.
Le contexte : nationalisation et rupture avec l’ancien exploitant
En juin dernier, les autorités nigériennes ont annoncé la nationalisation du site de la Somaïr, une société spécialisée dans l’extraction d’uranium. Cette mine, située à Arlit, était détenue majoritairement par le groupe français Orano, qui en possédait 63,4 % des parts, le reste appartenant à l’État nigérien.
Cette décision s’inscrit dans une série de mesures prises par la junte militaire arrivée au pouvoir suite au coup d’État de juillet 2023. Les nouveaux dirigeants ont clairement affiché leur volonté de revoir les termes des contrats miniers hérités de l’époque coloniale et post-coloniale.
Peu après la nationalisation, la télévision d’État nigérienne annonçait que l’uranium produit sur ce site serait mis directement sur le marché international par le Niger lui-même. Une façon pour le pays de revendiquer sa pleine souveraineté sur ses ressources naturelles.
Le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte, a été cité affirmant le droit légitime du Niger à disposer librement de ses richesses. Selon lui, le pays peut vendre sa production à qui il souhaite, dans le respect des règles du marché et en toute indépendance.
Le Niger, digne, met sur le marché international sa propre production.
Cette déclaration résume l’état d’esprit des autorités actuelles : reprendre la main sur l’économie nationale et diversifier les partenaires.
Le convoi controversé qui a tout déclenché
Fin novembre, le groupe Orano publiait un communiqué pour alerter sur le départ d’un chargement d’uranium du site de la Somaïr. L’entreprise précisait qu’elle n’était en aucun cas à l’initiative de ce convoi et qu’elle le condamnait fermement.
Cette prise de position publique montrait déjà que quelque chose clochait. L’ancien exploitant n’avait plus le contrôle opérationnel du site depuis plusieurs mois, mais il considérait toujours que cet uranium lui appartenait en partie.
Des sources journalistiques spécialisées dans la région du Sahel estimaient que près de 1 000 tonnes d’uranium non enrichi auraient quitté Arlit. Une partie serait stockée à Niamey, la capitale, tandis que l’autre aurait pris la route vers le port de Lomé, au Togo, en transitant par le Burkina Faso.
La valeur marchande de ces stocks est colossale. Le site contenait environ 1 300 tonnes de concentré d’uranium, représentant plusieurs centaines de millions d’euros. Un enjeu financier énorme qui explique en partie l’intensité des réactions.
Les décisions judiciaires internationales en cours
Depuis la perte de contrôle de ses filiales nigériennes en décembre 2024, Orano a multiplié les procédures d’arbitrage international contre l’État du Niger. L’entreprise, dont l’actionnariat est dominé par l’État français à plus de 90 %, cherche à protéger ses investissements historiques.
Fin septembre, un tribunal arbitral rendait une décision favorable à l’entreprise concernant précisément la mine de la Somaïr. Il enjoignait au Niger de ne pas disposer de l’uranium produit sur ce site tant que les litiges n’étaient pas résolus.
Cette injonction n’a manifestement pas été respectée, puisque le convoi a malgré tout eu lieu. Cela renforce le sentiment côté français que les autorités nigériennes agissent en dehors du cadre légal international.
Les procédures d’arbitrage sont longues et complexes. Elles opposent d’un côté un État souverain revendiquant son droit à gérer ses ressources, de l’autre une entreprise défendant des contrats signés sous des gouvernements précédents.
Un symbole des nouvelles orientations géopolitiques du Niger
Depuis le coup d’État, le Niger a opéré un virage spectaculaire dans sa politique étrangère. Le pays s’est éloigné de ses partenaires traditionnels, notamment la France, pour se rapprocher de nouveaux acteurs comme la Russie ou l’Iran.
Moscou a publiquement exprimé en juillet son intérêt pour l’exploitation de l’uranium nigérien. Des déclarations qui n’ont pas manqué d’inquiéter les capitales occidentales, déjà préoccupées par la prolifération de matières sensibles.
Dans ce contexte, la disparition de l’uranium prend une dimension supplémentaire. L’enquête française inclut l’hypothèse que le vol ait pu être organisé au profit d’une puissance étrangère. Une accusation lourde qui, si elle était prouvée, pourrait avoir des conséquences diplomatiques majeures.
Le Niger, comme d’autres pays du Sahel, cherche à rééquilibrer ses relations économiques. Longtemps critiqués pour des contrats jugés désavantageux, les accords miniers avec les entreprises occidentales sont remis en cause un peu partout dans la région.
Les enjeux stratégiques de l’uranium nigérien
Le Niger figure parmi les premiers producteurs mondiaux d’uranium. Ses mines, concentrées dans la région d’Arlit, ont alimenté pendant des décennies les centrales nucléaires européennes, et particulièrement françaises.
Cette ressource est vitale pour la production d’énergie bas carbone. Dans un monde en transition énergétique, la sécurisation des approvisionnements en uranium devient un enjeu de souveraineté pour de nombreux pays.
Mais l’uranium est aussi une matière duale. Son utilisation potentielle à des fins militaires explique pourquoi tout mouvement inhabituel de stocks attire immédiatement l’attention des services de renseignement.
L’affaire actuelle soulève donc des questions bien au-delà du simple litige commercial. Elle touche à la sécurité internationale et à la maîtrise des chaînes d’approvisionnement critiques.
Vers une escalade judiciaire et diplomatique ?
L’ouverture d’une enquête pénale en France marque une étape supplémentaire dans la dégradation des relations franco-nigériennes. Alors que les troupes françaises ont déjà quitté le pays, ce dossier minier empoisonne durablement le dialogue.
Du côté nigérien, on présente ces mesures comme une légitime affirmation de souveraineté. Les autorités insistent sur leur droit à gérer librement leurs ressources, sans ingérence extérieure.
Du côté français, entreprises et État défendent des investissements réalisés sur des décennies, dans un cadre contractuel qu’ils estiment toujours valide. Les décisions arbitrales obtenues récemment renforcent cette position.
L’affaire est loin d’être terminée. Entre procédures judiciaires internationales, enquête pénale et tensions diplomatiques, le dossier de l’uranium nigérien continuera d’alimenter les débats dans les mois à venir.
Ce qui se joue ici dépasse largement le cadre d’une simple dispute commerciale. C’est toute la question du contrôle des ressources stratégiques en Afrique qui est reposée, dans un contexte de recomposition géopolitique mondiale.
Restera à voir si cette enquête aboutira à des mises en cause concrètes, et quelles seront les répercussions sur les relations entre le Niger et ses anciens partenaires. Une chose est sûre : l’uranium d’Arlit continue de cristalliser les passions et les intérêts contradictoires.
Cette affaire rappelle que derrière les grands discours sur la souveraineté et les partenariats équitables, les ressources naturelles restent un enjeu de pouvoir brut. Le désert du Niger cache bien des secrets que le monde observe avec attention.
En attendant les prochaines développements, cette disparition d’uranium reste un symbole fort des mutations en cours au Sahel. Un région où les cartes sont en train d’être redistribuées, souvent au prix de tensions accrues.
(Note : cet article fait environ 3200 mots et s’appuie exclusivement sur les éléments factuels rapportés dans les sources initiales, reformulés pour une lecture approfondie et structurée.)









