Imaginez un ministre de l’Intérieur confronté à un choix cornélien : laisser débarquer des migrants secourus en mer ou appliquer une politique ferme de contrôle des frontières. C’est exactement le dilemme qu’a vécu Matteo Salvini en août 2019, lorsqu’il a refusé pendant plusieurs jours l’accostage du navire Open Arms avec 147 personnes à bord. Des années plus tard, cette décision vient d’être validée par la plus haute instance judiciaire italienne.
Un Acquittement Définitif Qui Fait Jurisprudence
Le 18 décembre 2025, la Cour de cassation italienne a mis un point final à une saga judiciaire qui durait depuis plus de cinq ans. Les juges ont confirmé l’acquittement de Matteo Salvini, rejetant définitivement l’appel des procureurs de Palerme. Ces derniers avaient pourtant requis six ans de prison pour séquestration de personnes et abus de pouvoir.
Cette décision n’est pas anodine. Elle consacre le principe selon lequel un ministre peut, dans l’exercice de ses fonctions, prendre des mesures restrictives sur l’immigration sans encourir de poursuites pénales personnelles. Un précédent qui pourrait influencer d’autres pays européens face à des situations similaires.
Salvini, actuel vice-Premier ministre et leader de la Lega, n’a pas manqué de réagir avec vigueur. Il a qualifié cette issue de victoire pour le bon sens et pour l’Italie entière, affirmant avoir simplement défendu les frontières de son pays contre ce qu’il décrit comme une immigration de masse.
Retour Sur Les Faits De L’Été 2019
Tout commence en août 2019. Le navire de l’ONG espagnole Open Arms croise en Méditerranée et recueille 147 migrants au large des côtes libyennes. Après plusieurs jours en mer, le bateau se dirige vers Lampedusa, l’île italienne la plus proche.
Mais Matteo Salvini, alors ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Conte I, refuse catégoriquement l’autorisation de débarquement. Il invoque des raisons de sécurité nationale et accuse les ONG de favoriser les passeurs en organisant des traversées.
Pendant près de trois semaines, le navire reste au large. Les conditions à bord se dégradent : surpopulation, tensions, problèmes sanitaires. Des mineurs sont présents parmi les rescapés, ce qui accentue la pression médiatique et humanitaire.
Finalement, c’est une ordonnance judiciaire sicilienne qui forcera le débarquement, après une inspection confirmant la gravité de la situation. Mais l’affaire ne s’arrête pas là : une procédure pénale est lancée contre Salvini personnellement.
Je considère avoir rendu un service utile au pays en luttant contre le trafic d’êtres humains et en sauvant des vies.
Matteo Salvini, lors de son audition
Cette citation illustre parfaitement la ligne de défense de Salvini : il n’agissait pas par cruauté, mais par devoir, pour décourager les départs dangereux et protéger la souveraineté italienne.
Un Procès Hautement Politisé
Dès le début, ce procès a été perçu comme éminemment politique. Le Sénat italien avait dû lever l’immunité parlementaire de Salvini pour permettre les poursuites, une décision rare qui a divisé l’opinion publique.
Les procureurs de Palerme, connus pour leur sévérité sur les questions migratoires, ont maintenu leurs accusations malgré un premier acquittement en décembre 2024. Ils estimaient que Salvini avait outrepassé ses pouvoirs en bloquant un débarquement qui relevait, selon eux, d’obligations humanitaires internationales.
De l’autre côté, Salvini et ses soutiens dénonçaient une instrumentalisation de la justice contre une politique migratoire populaire. Giorgia Meloni, alors dans l’opposition et aujourd’hui Première ministre, avait publiquement pris sa défense, qualifiant les poursuites d’incroyables.
Ce climat tendu a transformé le tribunal de Palerme en arène politique. Chaque audience était scrutée, chaque déclaration amplifiée. L’affaire Open Arms devenait le symbole d’un affrontement plus large : celui entre les partisans d’une Europe ouverte et ceux d’une Europe des nations souveraines.
Les Arguments De La Défense
La stratégie de défense de Salvini reposait sur plusieurs piliers solides. D’abord, il n’était pas seul décisionnaire : la mesure avait été validée par l’ensemble du gouvernement, y compris le président du Conseil Giuseppe Conte.
Ensuite, Salvini invoquait l’intérêt national supérieur. En 2019, l’Italie était en première ligne de la crise migratoire post-2015. Des centaines de milliers de arrivées avaient saturé les capacités d’accueil et alimenté les tensions sociales.
Sa politique de ports fermés visait à forcer les autres pays européens à une répartition équitable et à décourager les traversées organisées par les passeurs. Les chiffres semblaient lui donner raison : les arrivées avaient chuté drastiquement pendant son mandat.
Enfin, un argument juridique décisif : la défense de la patrie. Salvini citait volontiers l’article 52 de la Constitution italienne, qui fait de la défense de la patrie un devoir sacré pour tout citoyen.
Article 52 de la Constitution italienne :
« La défense de la Patrie est devoir sacré de tout citoyen. »
Cet article a été brandi comme un bouclier tout au long du procès, transformant une accusation pénale en débat constitutionnel.
Comparaison Avec L’Affaire Gregoretti
L’affaire Open Arms n’était pas isolée. À la même période, Salvini avait pris une mesure similaire avec le navire Gregoretti des garde-côtes italiens, bloquant une centaine de migrants.
Mais dans ce cas, le tribunal de Catane avait ordonné l’abandon des poursuites dès 2021. Une différence notable : le Gregoretti était un bateau italien, renforçant l’argument de souveraineté.
Cette divergence de traitement judiciaire entre deux affaires similaires a alimenté les accusations de partialité politique. Pourquoi poursuivre dans un cas et pas dans l’autre ? La réponse semblait résider dans la localisation des tribunaux : Palerme versus Catane.
L’acquittement définitif dans l’affaire Open Arms aligne désormais les deux dossiers et renforce la cohérence juridique en faveur de Salvini.
Réactions Politiques Et Sociétales
L’acquittement a provoqué un séisme politique. La droite souverainiste italienne exulte. Giorgia Meloni, aujourd’hui à la tête du gouvernement, voit dans cette décision une validation rétrospective de sa ligne dure sur l’immigration.
La Lega de Salvini renforce sa position au sein de la coalition gouvernementale. Le message est clair : défendre les frontières n’est pas un crime, mais un devoir.
À l’opposé, les associations humanitaires et une partie de la gauche déplorent une occasion manquée de sanctionner ce qu’elles considèrent comme une violation des droits humains. Elles craignent un effet domino sur les opérations de sauvetage en mer.
Dans l’opinion publique, les sondages montrent une majorité d’Italiens soutenant la politique migratoire ferme. L’acquittement vient conforter ce sentiment majoritaire.
Assolto pour avoir stoppé l’immigration de masse et défendu mon pays. Victoire de la Lega, du bon sens, de l’Italie.
Matteo Salvini, décembre 2024
Conséquences Sur La Politique Migratoire Européenne
Cette affaire dépasse largement les frontières italiennes. Elle pose la question de la responsabilité des États face aux ONG opérant en Méditerranée.
Depuis 2019, plusieurs pays européens ont adopté des mesures restrictives similaires. La Grèce, Malte, et même la France ont parfois refusé des débarquements ou imposé des conditions strictes.
L’acquittement de Salvini pourrait encourager ces gouvernements à maintenir leur fermeté, sachant qu’ils risquent moins de poursuites personnelles pour leurs ministres.
Parallèlement, les ONG continuent leurs opérations, mais dans un contexte plus hostile. Certaines accusent les États de criminaliser le sauvetage en mer, en violation du droit international.
Le débat reste vif : qui doit porter la charge de l’accueil ? Les pays de première arrivée comme l’Italie, ou l’Europe entière via une solidarité effective ?
Une Victoire Personnelle Pour Salvini
Pour Matteo Salvini, cet acquittement représente bien plus qu’une décision judiciaire. C’est une réhabilitation politique complète après des années de procédures qui ont pesé sur son image.
Il ressort renforcé au sein de son parti et de la coalition gouvernementale. Son discours anti-immigration, qui avait fait sa popularité en 2018-2019, retrouve une légitimité judiciaire.
Malgré les revers électoraux de la Lega ces dernières années, Salvini conserve une base fidèle convaincue que sa fermeté était nécessaire.
Cette affaire pourrait même relancer sa carrière au plus haut niveau, dans un contexte où l’immigration redevient un thème central en Europe.
Perspectives D’Avenir
Avec cet acquittement définitif, un chapitre se ferme. Mais les questions de fond restent entières. La Méditerranée continue d’être une route migratoire mortelle, avec des milliers de tentatives chaque année.
Le gouvernement Meloni actuel poursuit une politique similaire : accords avec les pays tiers, renforcement des contrôles, limitation des activités des ONG.
L’Europe, elle, peine toujours à trouver un consensus sur un pacte migratoire équitable. Les pays du Sud se sentent abandonnés, tandis que ceux du Nord rechignent à la relocalisation obligatoire.
L’affaire Salvini rappelle que derrière les statistiques et les discours, il y a des choix politiques lourds de conséquences humaines et nationales.
Elle illustre aussi la tension permanente entre obligations humanitaires et impératifs de souveraineté dans un monde où les flux migratoires défient les frontières traditionnelles.
En définitive, cet acquittement marque une victoire symbolique pour tous ceux qui estiment que les États ont le droit, et même le devoir, de contrôler leurs frontières. Reste à voir si cette ligne tiendra face aux défis futurs de la migration globale.
En conclusion, l’acquittement définitif de Matteo Salvini clôt une page controversée de l’histoire migratoire italienne tout en ouvrant des perspectives nouvelles sur la légitimité des politiques restrictives en Europe.
Cette décision judiciaire, loin d’être technique, touche au cœur des débats contemporains sur l’identité, la sécurité et la solidarité en Europe. Elle nous invite à réfléchir collectivement sur l’équilibre délicat entre accueil et contrôle dans un continent aux frontières poreuses.









