Imaginez deux dirigeants aux profils radicalement différents, mais unis par une vision commune du monde. L’un est un avocat discret et rigoriste, l’autre un économiste exubérant qui manie la tronçonneuse comme symbole politique. Pourtant, ce mardi à Buenos Aires, Jose Antonio Kast et Javier Milei se sont rencontrés avec une évidente complicité. Cette visite marque le début d’une nouvelle ère dans les relations entre le Chili et l’Argentine.
Une Première Visite Hautement Symbolique
Dès son élection dimanche, Jose Antonio Kast a reçu les félicitations enthousiastes de plusieurs leaders internationaux. Mais c’est Javier Milei qui s’est distingué par sa promptitude et sa chaleur. Sur les réseaux sociaux, le président argentin a exprimé son « immense joie » face à cette « écrasante victoire ». Des mots qui en disent long sur l’affinité entre ces deux figures de la droite dure sud-américaine.
Moins de quarante-huit heures plus tard, le nouveau président chilien foulait le sol argentin. Direction la Casa Rosada, siège de la présidence à Buenos Aires. Un choix qui n’a rien d’anodin : il s’agit de la toute première sortie diplomatique de Kast depuis son investiture. En privilégiant son voisin, il envoie un message clair sur ses priorités géopolitiques.
La rencontre s’est déroulée dans une discrétion relative. Pas de conférence de presse commune, comme c’est souvent le cas avec Milei. Juste quelques photos officielles et une courte vidéo montrant les deux hommes se serrant la main avec cordialité. Un style sobre qui contraste avec l’habitude argentine de communication plus spectaculaire.
Des Profils Contrastés Mais Complémentaires
Jose Antonio Kast, 59 ans, incarne l’ultraconservatisme chilien. Avocat de formation, il cultive une image austère et mesurée. Ses discours mettent l’accent sur les valeurs traditionnelles, la sécurité et l’ordre. Rien à voir avec le style flamboyant de Javier Milei.
Le président argentin, économiste autoproclamé « anarcho-capitaliste », est connu pour son énergie débordante. Sur les réseaux sociaux, il alterne analyses économiques pointues et provocations tonitruantes. Lors de ses meetings, il n’hésite pas à endosser un costume de rockeur pour haranguer les foules. Deux tempéraments opposés, donc.
Mais au-delà des apparences, leurs visions convergent sur plusieurs points essentiels. Défense acharnée de la propriété privée, rejet des politiques progressistes, critique virulente des modèles socialistes. Milei l’a d’ailleurs résumé dans son message de félicitations : un pas de plus pour la défense de la vie, de la liberté et de la propriété privée dans la région.
« Un pas de plus de notre région en défense de la vie, de la liberté et de la propriété privée »
Javier Milei, président de l’Argentine
Cette citation illustre parfaitement le socle idéologique commun. Elle fait écho à une tendance plus large observée ces dernières années en Amérique latine, où plusieurs pays ont porté au pouvoir des dirigeants résolument à droite.
Au-Delà de l’Idéologie : Des Intérêts Concrets
Si la proximité idéologique saute aux yeux, la visite ne s’est pas limitée à un échange de politesses. Les deux présidents ont abordé des sujets pratiques et stratégiques. La présidence chilienne a insisté sur trois axes majeurs : sécurité, immigration et développement commercial.
La question de la sécurité transfrontalière occupe une place centrale. Le Chili et l’Argentine partagent une longue frontière terrestre, souvent difficile à contrôler. Les flux migratoires irréguliers constituent un défi commun, particulièrement dans les zones montagneuses de la cordillère des Andes.
Sur l’immigration, les positions des deux dirigeants sont alignées. Tous deux prônent un contrôle renforcé des frontières et une politique migratoire plus restrictive. Cette convergence pourrait déboucher sur des accords bilatéraux concrets dans les mois à venir.
Mais l’aspect économique n’a pas été négligé. Jose Antonio Kast était accompagné d’une importante délégation d’investisseurs chiliens. Parmi eux, des représentants de grands groupes comme Quinenco, ainsi que les principales organisations patronales du pays.
Cette dimension affaires illustre la volonté de dynamiser les échanges commerciaux. Le Chili représente actuellement le cinquième partenaire commercial de l’Argentine. Un rang modeste, derrière le Brésil, la Chine, les États-Unis et l’Union européenne, mais avec un potentiel de croissance significatif.
Les secteurs prioritaires de coopération économique :
- Industrie et énergie
- Commerce et agriculture
- Infrastructures transfrontalières
- Investissements croisés
Ces domaines ont été au cœur des discussions avec les entrepreneurs argentins. L’objectif : identifier des opportunités concrètes et lever les freins administratifs qui persistent entre les deux pays.
Un Déroulé de Visite Bien Rodé
La journée a été organisée avec précision. Après l’entretien matinal à la Casa Rosada, un déjeuner avec des hommes d’affaires argentins était prévu. L’après-midi devait être consacré à des échanges plus sectoriels.
Un moment spontané a marqué les observateurs. À la sortie de la présidence, Jose Antonio Kast s’est approché des grilles pour saluer des touristes chiliens présents sur la place de Mai. Quelques mots échangés, des sourires, des photos. Un geste de proximité qui contraste avec l’image parfois rigide du nouveau président.
En fin de journée, direction l’ambassade chilienne pour une réception plus formelle. Puis retour à Santiago en soirée. Une visite express, donc, mais dense en symboles et en contenus.
Contexte Régional : Une Droite en Ascension
Cette rencontre s’inscrit dans un mouvement plus large. Ces dernières années, plusieurs pays d’Amérique latine ont connu un virage à droite. L’Argentine avec Milei, l’Équateur, la Bolivie dans une certaine mesure, le Pérou… La liste s’allonge.
Ce phénomène répond à diverses aspirations : rejet de la corruption, demande de sécurité, fatigue face aux modèles interventionnistes. Dans ce paysage, le Chili rejoint désormais le club des nations gouvernées par la droite dure.
L’élection de Kast représente un tournant historique pour le pays. Longtemps considéré comme un modèle de stabilité démocratique et de progressisme modéré en Amérique latine, le Chili bascule vers des positions plus radicales.
Cette évolution inquiète une partie de l’opinion internationale. Mais pour Milei et ses alliés idéologiques, elle constitue une victoire majeure. Un renforcement du bloc conservateur et libéral dans le cône sud.
Perspectives : Vers une Alliance Renforcée ?
Si cette visite constitue un premier pas, elle ouvre la voie à une coopération plus structurée. Les deux pays partagent des intérêts géostratégiques évidents : accès au Pacifique pour l’Argentine, corridors terrestres pour le Chili.
Sur le plan international, une coordination sur certains dossiers pourrait émerger. Défense des valeurs conservatrices dans les forums régionaux, positions communes face aux grandes puissances, coordination économique au sein du Mercosur ou d’autres instances.
Reste à voir comment cette relation évoluera dans la durée. Les personnalités fortes des deux leaders pourraient autant faciliter les accords que générer des frictions. Mais pour l’instant, le signal est clair : le Chili de Kast et l’Argentine de Milei entendent avancer main dans la main.
Cette rencontre du mardi à Buenos Aires restera comme un moment clé de la nouvelle configuration politique sud-américaine. Elle illustre la vitalité d’un courant idéologique qui, loin de s’essouffler, semble au contraire gagner du terrain. L’avenir dira si cette alliance de circonstance se transformera en partenariat durable et influent sur la scène régionale.
En attendant, les observateurs scrutent déjà les prochains déplacements de Jose Antonio Kast. Qui sera le prochain dirigeant à accueillir le nouveau président chilien ? Les réponses à cette question en diront long sur la diplomatie qu’il entend mener.
Une chose est sûre : avec cette première sortie chez Milei, Kast pose les bases d’une politique étrangère résolument tournée vers les partenaires partageant sa vision du monde. Un choix stratégique qui pourrait redessiner les équilibres en Amérique latine pour les années à venir.









