Imaginez un village paisible le long du fleuve Congo, à moins de cent kilomètres de la capitale Kinshasa. Un matin comme les autres, qui bascule soudain dans l’horreur. Des hommes armés surgissent, fusils et machettes à la main, et sèment la mort en quelques heures. Ce n’est pas une fiction : c’est ce qui s’est passé le 23 novembre dernier à Nkana, en République démocratique du Congo.
Un massacre qui révèle un conflit oublié
Dans cette région de l’ouest du pays, loin des projecteurs braqués sur l’est, un affrontement communautaire fait rage depuis plusieurs années. Au moins vingt-deux civils ont perdu la vie lors de cette attaque récente, selon des témoignages recueillis auprès de survivants. Parmi les victimes, on compte quatre femmes et quatre enfants. Beaucoup d’autres ont été grièvement blessés.
Les assaillants, identifiés comme des combattants mobondo issus de la communauté Yaka, ont ciblé principalement des villageois de l’ethnie Teke. Ils ont parcouru les maisons une par une, traquant ceux qui tentaient de fuir. Cette violence brutale s’inscrit dans une spirale de représailles qui semble sans fin.
Les origines d’une tension explosive
Tout a commencé en 2022 autour d’un différend foncier. Les Teke se considèrent comme les propriétaires historiques des terres le long du fleuve. Les Yaka, installés plus récemment, revendiquent eux aussi des droits sur ces territoires riches et stratégiques.
Ce qui n’était au départ qu’un conflit local a rapidement dégénéré en affrontements armés. Des centaines de personnes ont déjà perdu la vie depuis le début des hostilités. Des villages entiers ont été incendiés, forçant des milliers d’habitants à fuir leurs maisons.
Les miliciens mobondo, présentés comme des défenseurs de la communauté Yaka, sont régulièrement accusés d’avoir pris une part active dans ces violences. Depuis juin 2023, ils auraient incendié plusieurs villages Teke et tué des dizaines de civils.
L’attaque de Nkana : une représaille annoncée
Avant le 23 novembre, des menaces avaient circulé dans le village de Nkana. Les combattants reprochaient aux habitants Teke de refuser l’installation d’un nouveau chef coutumier issu de la communauté Yaka. Cette question de légitimité traditionnelle a servi de déclencheur.
Ce jour-là, les assaillants ont agi avec une détermination glaçante. Armés de fusils mais aussi de machettes, ils n’ont laissé que peu de chances aux villageois surpris. Les survivants décrivent des scènes d’une extrême violence, où la fuite était souvent la seule option – quand elle était possible.
Les attaquants parcouraient les maisons, tuant principalement ceux qui tentaient de s’échapper.
Cette citation, issue de témoignages directs, illustre la méthode employée. Une chasse à l’homme méthodique, motivée par la vengeance et la volonté d’imposer une autorité contestée.
Un territoire en proie à l’insécurité chronique
Le territoire de Kwamouth, situé dans la province de Mai-Ndombe, est devenu un foyer de tensions permanentes. Malgré sa proximité relative avec Kinshasa, la région semble abandonnée à son sort. Les forces de sécurité peinent à y maintenir l’ordre.
Plusieurs initiatives de médiation ont été lancées par les autorités congolaises. Dialogues intercommunautaires, rencontres avec les chefs coutumiers, promesses de renforcement policier : rien n’a pour l’instant réussi à apaiser durablement les esprits.
Les populations civiles paient le prix fort de cet échec. Déplacements massifs, destruction des moyens de subsistance, traumatismes profonds : les conséquences humanitaires sont immenses.
L’impuissance des autorités face aux avertissements
Ce qui rend ce drame encore plus tragique, c’est qu’il n’était pas imprévisible. Des signaux d’alerte avaient été émis bien avant l’attaque. Menaces explicites, escalade des tensions : tout indiquait qu’un nouveau bain de sang était possible.
Malgré ces avertissements répétés, le gouvernement n’a pas réussi à renforcer suffisamment la sécurité dans la zone. L’absence de réponse efficace laisse un sentiment d’abandon chez les habitants.
Cette incapacité à protéger les civils interroge sur les priorités de l’État dans la gestion des multiples crises qui secouent le pays.
Un conflit éclipsé par les violences de l’est
La République démocratique du Congo traverse depuis des décennies des périodes de grande instabilité. L’attention internationale et médiatique se concentre souvent sur l’est du pays, où la rébellion du M23 contrôle de vastes territoires dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Pourtant, l’ouest connaît lui aussi des drames humains profonds. Le conflit entre Teke et Yaka, avec ses centaines de morts et ses déplacements de population, mérite une attention équivalente.
Cette dichotomie dans la couverture des crises congolaises contribue à maintenir certaines régions dans l’ombre. Les victimes de Kwamouth ont autant besoin de visibilité que celles de Goma ou Beni.
Les conséquences humaines au-delà des chiffres
Derrière le nombre de vingt-deux victimes se cachent des histoires individuelles brisées. Des familles décimées, des enfants orphelins, des blessés qui porteront des séquelles à vie. Chaque mort laisse une communauté endeuillée.
Les survivants doivent désormais reconstruire dans un climat de peur permanente. La confiance entre communautés est rompue, rendant toute cohabitation future extrêmement fragile.
Les déplacements forcés aggravent la situation humanitaire. Sans abri, sans ressources, beaucoup dépendent désormais de l’aide extérieure, souvent insuffisante.
Vers une sortie de crise durable ?
La question reste entière : comment mettre fin à cette spirale de violence ? Les médiations passées n’ont pas porté leurs fruits. Une approche plus globale semble nécessaire.
Renforcer la présence étatique, régler les différends fonciers de manière équitable, désarmer les milices : autant de pistes qui demandent une volonté politique forte.
La communauté internationale pourrait également jouer un rôle, en soutenant des processus de réconciliation crédibles et en exerçant une pression pour la protection des civils.
Points clés du conflit à Kwamouth :
- Début des violences majeures en 2022
- Conflit foncier entre communautés Teke et Yaka
- Implication active des miliciens mobondo
- Centaines de morts et milliers de déplacés
- Proximité géographique avec Kinshasa (75 km)
- Échec des médiations jusqu’à présent
Ces éléments résument la complexité d’une crise qui ne se limite pas à un simple incident isolé.
Le massacre de Nkana doit servir d’électrochoc. Ignorer plus longtemps cette région, c’est risquer une aggravation incontrôlable des tensions.
Les habitants de l’ouest de la RDC méritent la même attention et la même protection que ceux de l’est. Leur souffrance n’est pas moins légitime.
Espérons que ce drame pousse enfin les autorités et la communauté internationale à agir avec détermination. Car derrière chaque statistique se trouve une vie humaine irremplaçable.
La paix reste possible, mais elle demande courage et engagement. Le peuple congolais, dans toute sa diversité, ne peut continuer à payer le prix de l’inaction.
(Note : cet article s’appuie sur des témoignages et rapports relatant les faits du 23 novembre à Nkana et le contexte du conflit intercommunautaire dans la région de Kwamouth.)









