Imaginez un petit pays d’Afrique de l’Ouest, coincé entre le Sénégal et la Guinée, qui bascule une nouvelle fois dans l’instabilité juste au moment où il s’apprêtait à connaître les résultats d’élections cruciales. C’est exactement ce qui s’est passé fin novembre en Guinée-Bissau, avec un coup d’État qui a interrompu le processus démocratique et attiré l’attention de toute la région. Face à cette énième crise, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, plus connue sous le nom de Cedeao, a réagi avec fermeté.
La Cedeao durcit le ton face aux coups d’État répétés
Lors d’un sommet ordinaire tenu à Abuja, au Nigeria, les chefs d’État de la Cedeao ont placé la situation en Guinée-Bissau au cœur des discussions. Le président de la Commission, Omar Alieu Touray, a annoncé sans ambiguïté que des sanctions ciblées seraient imposées à quiconque tenterait d’entraver le retour à un régime civil. Cette menace vise directement les individus ou groupes qui pourraient prolonger la crise.
Ce n’est pas une simple déclaration d’intention. La Cedeao a déjà un historique de réactions face aux putschs dans la région. Entre 2020 et 2023, plusieurs pays membres ont connu des prises de pouvoir militaires, bouleversant l’équilibre régional. Aujourd’hui, l’organisation semble déterminée à stopper cette vague d’instabilité qui menace la stabilité de toute l’Afrique de l’Ouest.
Que s’est-il passé exactement en Guinée-Bissau ?
Le coup d’État a éclaté fin novembre, la veille de l’annonce des résultats provisoires des élections présidentielle et législatives du 23 novembre. À ce moment-là, deux camps rivaux revendiquaient la victoire : celui du président sortant, Umaro Sissoco Embalo, et celui de l’opposant Fernando Dias de Costa. La tension était déjà palpable.
Des militaires ont alors pris la parole pour annoncer qu’ils avaient le contrôle total du pays. Ils ont arrêté le président sortant et suspendu l’ensemble du processus électoral. Ce scénario, malheureusement, n’est pas nouveau pour la Guinée-Bissau. Depuis son indépendance en 1974, le pays a connu quatre coups d’État réussis et de nombreuses tentatives avortées.
Cette histoire d’instabilité chronique pèse lourd sur le quotidien des Bissau-Guinéens. Chaque crise politique entraîne son lot d’incertitudes économiques et sociales, freinant le développement d’un pays déjà parmi les plus pauvres de la région.
Les mesures concrètes annoncées par la Cedeao
Au-delà des mots, la Cedeao passe à l’action. La force de maintien de la paix, déployée depuis 2022 en Guinée-Bissau, reçoit désormais le mandat explicite de protéger tous les dirigeants politiques et les institutions nationales. Cette mission prend une dimension nouvelle dans le contexte actuel.
Des renforts sont également en route. Après le Nigeria et la Côte d’Ivoire, qui ont déjà envoyé des troupes et même des avions de chasse suite à la tentative avortée au Bénin, le Ghana et la Sierra Leone s’apprêtent à contribuer. Cette mobilisation rapide illustre une volonté de montrer que l’organisation ne reste pas les bras croisés.
Les autorités imposeront des sanctions ciblées aux individus ou groupes de personnes qui entravent le processus de transition.
Omar Alieu Touray, président de la Commission de la Cedeao
Cette citation résume parfaitement la position adoptée. Les sanctions ciblées, souvent des gels d’avoirs ou des interdictions de voyage, ont déjà prouvé leur efficacité dans d’autres contextes régionaux pour isoler les acteurs nuisibles à la démocratie.
Un contexte régional marqué par l’instabilité
La Guinée-Bissau n’est pas un cas isolé. Récemment, le Bénin a échappé de justesse à un coup d’État avorté, déclenchant une réponse militaire immédiate de voisins comme le Nigeria. Plus au nord, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, toujours sous régime militaire, ont même quitté la Cedeao pour former l’Alliance des États du Sahel.
Cette scission complique la lutte contre les menaces communes, notamment les groupes jihadistes qui sévissent dans le Sahel. Leur influence s’étend vers le sud, menaçant les pays côtiers. Comme l’a rappelé le président sierra-léonais Julius Maada Bio, aucune frontière ne peut protéger de cette violence.
Dans ce paysage fragmenté, la Cedeao tente de maintenir un front uni. Le sommet d’Abuja a ainsi mis en avant la notion de solidarité régionale, présentée comme un rempart essentiel contre les crises à répétition.
La question des élections en Guinée voisine
Le sommet n’a pas ignoré la situation en Guinée Conakry, où une élection présidentielle est prévue le 28 décembre. Le chef de la junte, Mamady Doumbouya, se présente malgré ses promesses initiales de ne pas briguer le pouvoir civil. De son côté, l’opposant Cellou Dalein Diallo, exilé, a été exclu du scrutin.
Ces éléments soulèvent des doutes sur la crédibilité du vote. Interrogé à ce sujet, Omar Alieu Touray a exprimé l’espoir que les élections soient crédibles, transparentes et équitables. Un vœu pieux dans un contexte où les transitions militaires traînent souvent en longueur.
Cette élection en Guinée est surveillée de près, car elle pourrait influencer d’autres processus de transition dans la région. Un retour réussi à l’ordre civil constituerait un signal positif pour toute l’Afrique de l’Ouest.
Les défis sécuritaires au cœur des préoccupations
La sécurité reste une priorité absolue. Les insurrections jihadistes continuent de progresser, exploitant les faiblesses politiques. La semaine précédant le sommet, la Commission de la Cedeao appelait déjà à des négociations avec l’Alliance des États du Sahel sur ces questions communes.
Il devient évident que les divisions politiques entravent la coopération nécessaire. Pourtant, face à une menace qui ignore les frontières, une coordination régionale s’impose plus que jamais. Le président Bio l’a martelé : la violence ne s’arrête pas aux lignes tracées sur les cartes.
Points clés de la réponse de la Cedeao :
- Menace de sanctions ciblées contre les obstacles à la transition civile
- Renforcement de la force de maintien de la paix en Guinée-Bissau
- Mobilisation de troupes supplémentaires de plusieurs pays membres
- Condamnation ferme des coups d’État récents et avortés
- Appel à la solidarité face aux menaces sécuritaires communes
Cette mobilisation montre que la Cedeao, malgré les départs et les critiques, reste un acteur central dans la gestion des crises ouest-africaines.
Vers un retour à la stabilité en Guinée-Bissau ?
La grande question reste ouverte : ces mesures suffiront-elles à ramener la Guinée-Bissau vers un régime civil ? Les sanctions ciblées peuvent isoler les putschistes, mais leur efficacité dépend de leur application stricte. La protection des institutions par la force régionale offre un bouclier temporaire.
Le pays a besoin d’un processus électoral repris dans des conditions apaisées. Les rivalités entre camps politiques devront être canalisées pour éviter de nouvelles escalades. La communauté internationale, au-delà de la Cedeao, observe également avec attention.
Dans une région où les coups d’État sont devenus presque routiniers, chaque crise représente un test pour les mécanismes régionaux de prévention et de résolution. La réponse actuelle de la Cedeao pourrait marquer un tournant, ou au contraire révéler ses limites face à des dynamiques internes complexes.
L’histoire récente de l’Afrique de l’Ouest nous enseigne que la stabilité demeure fragile. Entre aspirations démocratiques et réalités sécuritaires, les dirigeants régionaux marchent sur une corde raide. Le sommet d’Abuja, initialement planifié pour d’autres sujets, s’est transformé en démonstration de détermination collective.
Les prochaines semaines seront décisives. La mise en œuvre effective des sanctions, l’arrivée des renforts militaires et la pression diplomatique pourraient influencer l’issue en Guinée-Bissau. Pendant ce temps, les populations attendent un retour à la normale qui tarde souvent à venir.
Cette crise rappelle que la démocratie en Afrique de l’Ouest reste un combat permanent. Les progrès accomplis ces dernières décennies peuvent être balayés rapidement par des interventions militaires. Pourtant, la réaction rapide de la Cedeao montre aussi que des mécanismes de défense collective existent.
En définitive, l’avenir de la Guinée-Bissau dépendra autant des acteurs locaux que de la cohésion régionale. La menace de sanctions et le déploiement de forces visent à créer les conditions d’un dialogue inclusif. Reste à savoir si ces outils seront suffisants pour inverser la tendance d’une instabilité récurrente.
La région tout entière retient son souffle, consciente que chaque crise locale a des répercussions bien au-delà des frontières nationales. La solidarité affichée lors du sommet d’Abuja devra se traduire en actes concrets pour espérer un dénouement positif.









